Plateau marmots : Question de ton

Dans un de nos savoureux échanges hebdomadaires, Krinie, l’une des rédactrices de Plateau Marmots, me demandait l’autre jour comment j’envisageais le “ton” du site. Il est vrai que lorsqu’un média regroupe plusieurs rédacteurs, chacun parle un peu à sa manière, en se pliant de plus ou moins bon gré à une tonalité générale. De cette cacophonie nécessaire, mais difficilement maîtrisée, on peut définir le ton général du média. 

Pour vous écourter d’emblée une lecture qui risque d’être longue et fastidieuse, je pourrais résumer les choses comme ceci. Vous prenez la volonté éditoriale du rédac’ chef d’un côté. Vous prenez ensuite les articles qui sont vraiment en ligne, postés par l’ensemble des rédacteurs. Vous faites une moyenne de tout cela et vous obtenez le “ton” du site, sorte de voix collective et personnelle, qui définit l’identité de Plateau Marmots. 

Mais si on veut aller plus loin, et parler de Plateau marmots, on va devoir mettre un peu les mains dans le cambouis et revenir à l’origine de ce site, qui doit sa naissance à un jeu particulièrement ambitieux : “1, 2, 3 Prout !

Ca va être long chef ? Non parce que j’ai un Terraforming Monopoly sur le feu, et…

Chut Krinie. On se tait et on écoute le chef. Car l’histoire que je vais te narrer est bouleversante. Tu l’ignores sans doute, mais Plateau marmots est né le jour où un ami m’a demandé de lui passer commande d’un jeu de société. Enfin un jeu, on va pas s’emballer non plus, hein ? Je veux parler d'”1, 2, 3 Prout !“, sorti chez Mattel. Voilà. Au début j’ai cru à un gag. Je veux dire, c’est mon meilleur ami, il est censé me connaître un peu, quand même. Au moins avoir des notions sur mes goûts. Il sait que j’ai fondé la chaîne youtube Plateau Solo plusieurs années auparavant, il connait mon amour pour les jeux de société modernes.  Je fais régulièrement jouer son fils au Trésor des Lutins, à Chut Coco et à Rory’s Story Cubes… et il me demande, à moi, de lui commander “1 2 3 Prout !”

Nonméssandéconnerjallucine.  

Je vais d’ailleurs dissiper un malentendu immédiat, pour ceux qui pensent qu'”1 2 3 Prout !” pourrait être un jeu très réussi qui se dissimule sous un nom un peu trivial. La réponse est non. “1 2 3 Prout !” n’est pas le Kinderspiele 2018, c’est juste un coussin péteur qui fait des bruits de flatulence de manière aléatoire quand vous appuyez dessus. Il s’achète en grandes surfaces, et c’est rangé avec les jeux de société. D’où sa confusion, j’imagine.

Mais ne vous méprenez pas : je ne dis pas qu’il ne faut pas acheter “1 2 3 Prout !“, loin de là. Je dis juste qu’il faut l’acheter en sachant exactement ce que l’on achète, et en l’occurrence ce que l’on achète pas. Car “1 2 3 Prout !” n’est tout simplement pas un jeu de société : c’est un jouet fast-gaming.  

Le Fast-gaming ? Ca donne faim, chef !

Oui Krinie, c’est fait pour. Je vais d’ailleurs ouvrir une parenthèse. Dans ma vision des choses, les jeux fast-gaming sont exactement comme du fast-food : vite ingérés et vite proutés évacués… mais avec une brève illusion de bonheur au moment où le cuistot serveur préposé dépose les sandwiches tièdes sur votre plateau mouillé. Et c’est cette seconde de bonheur qui me (nous) fait revenir une fois par mois chez Burger King ou McDo. Il n’est pas interdit d’en manger, loin de moi cette idée, mais on sait en le faisant que le fast-food est à la nourriture ce que Jordy était à la musique.

Dur dur d’aller gerber. 

Fin de la parenthèse. 

Donc vous pouvez tout à fait vous éclater sur “1 2 3 Prout !“, ne soyons pas snobs. Mais en le faisant, n’imaginez pas une seconde que vous jouez à un JEU.  Car “1 2 3 Prout !“, “Délir’O Toilettes” et tous leurs amis criards sont des JOUETS (plus ou moins moisis) cachés dans le monde des jeux de société. Pour le commun des mortels, cependant, ce SONT des jeux de société.

C’est là le point de départ de Plateau Marmots.

Pourquoi me demanderas-tu, Krinie ?

Pourquoi quoi, chef ?

Parce que mon ami n’est évidemment pas plus stupide que la moyenne. S’il pensait acheter un jeu de société avec “1 2 3 Prout !“, ça veut dire que d’autres parents le pensent aussi. Et là je me suis dit qu’il y avait du boulot. Comme j’avais un peu de temps, un marmot de deux ans et une marmotte qui devrait arriver fin août, je me suis dit que j’allais me lancer dans l’exploration du monde des jeux de société pour enfants. Des vrais. 

C’est quoi, “les vrais”, chef ? 

Tenez, puisque j’ai évoqué le “fast-gaming” pour les jeux en plastique à piles, il est logique d’appeler l’inverse du “slow-gaming”. Et en plus c’est super tendance avec la mode du slow-food, donc je vais faire breveter le terme immédiatement, Krinie. 

Imaginons que le slow-gaming, ce sont les jeux qui vont calmer les joueurs au lieu de les exciter. Imaginons que ce sont des jeux dont on aura plaisir à se souvenir des parties une fois qu’elles sont finies. Imaginons que ce sont de jeux qui demandent un peu d’investissement, de temps, de patience. Imaginons que ce sont des jeux qui peuvent réunir plusieurs tranches d’âge autour de la table, soit parce qu’elles jouent ensemble en coopération, soit parce que chaque génération disposerait d’atouts qui lui sont propres pour espérer l’emporter. 

Imaginons enfin que Plateau Marmots parvienne à faire entendre, à tous les acheteurs potentiels d'”1 2 3 Prout !” qu’il existe des jeux tout aussi funs, voire plus délirants, mais avec un vrai fond de jeu.  Des jeux pour lesquels un auteur et un éditeur se sont cassés le cul pour obtenir les règles les plus abouties possible. Des jeux qui permettent de se concentrer, de manipuler, de découvrir la stratégie, le bluff. Des jeux pleins d’esprit sans êtres barbants, Si ces jeux existaient, ne préféreriez vous pas que vos enfants y jouent et s’éveillent au monde plutôt que de hurler comme des hystériques devant un jouet fluo qui fait des prouts ? 

Je ne sais pas, chef, moi je ne joue qu’au Monopoly

Vois-tu, Krinie, la raison d’être de Plateau Marmots, c’est donc de s’adresser aux parents, de les informer que le jeu de société pour enfants ne se limite pas à un rayonnage chez Auchan. Ni à une tête de gondole à la Fnac, d’ailleurs. Le jeu de société moderne, c’est un big bang permanent qui a sonné haut et fort sa révolution depuis 30 ans, ce sont près de 3000 jeux qui sortent chaque année, dont une bonne moitié est traduite ou accessible en français. Donc NON, le choix de jeux pour enfants slow-gaming ne se limite pas au Mastermind, Monopoly, Cluedo, Risk et Scotland Yard. Plus depuis 1990, en tout cas. 

Notre job ici, indispensable Krinie, c’est de nous adresser aux adultes, et non aux gamers. Ces derniers, pour la plupart, connaissent l’existence du jeu coopératif, de Haba, de Gigamic et de Djéco. Les parents, pas forcément. Enormément de parents sont persuadés qu’un jeu de société est systématiquement synonyme d’affrontement, de gagnant et de perdant. Beaucoup n’ont pas le temps de s’y intéresser, ou n’ont pas l’envie/la patience/les moyens de se dire que d’autres choses existent que La Bonne Paye et Baf La Mouche !

Donc chaque article, chaque news, doit être pensée en ce sens : Plateau Marmots parle à des adultes qui ne consultent pas TricTrac pas plus qu’ils n’ont entendu parler de Ravage ou de Plato Magazine. Ce sont des gens qui suivent les conseils des vendeurs, quand ils en trouvent un, ou qui achètent simplement le jeu pour lequel ils ont vu une publicité le matin même sur Gulli. Des adultes concernés par le bonheur de leur progéniture avant tout, qui entendent souvent dire “que le jeu est bénéfique pour le développement des enfants”, sans bien savoir de quoi on parle précisément.  Bref, des parents, tout simplement. 

Oui chef, mais le ton alors ? 

Excellent question Krinie, j’y arrive, j’y arrive. Etant donné que nous avons déterminé à qui l’on souhaite parler, reste plus qu’à déterminer comment. Puisque ce sont des adultes, on va éviter le ton dégoulinant de mièvrerie d’un catalogue Oxybul. Plateau Marmots n’a rien à vendre et ce n’est pas un site qui a vocation à être lu par les enfants. Donc on va déjà employer un vocabulaire usuel quotidien, qui inclut donc “putain”, “merde”, et autres superlatifs démonstratifs qui permettent de mettre les points sur les i. 

Tu sais Krinie, le but du jeu est d’éveiller les consciences mais surtout d’installer l’envie. On peut donc coller des taquets de temps en temps en mode “vous ne jouez pas avec vos enfants, c’est maaaaal”, mais toujours avec une certaine bienveillance et surtout en proposant des solutions. J’aurai toujours plus de complaisance envers des parents qui ne veulent ou ne savent pas jouer avec leurs enfants qu’avec les éditeurs qui leur refilent des saloperies de Docteurs Maboul ou d’Hippogloutons par containers entiers. 

Donc le ton, chère Krinie, c’est d’arriver à alterner pédagogie, second degré et tabassage en règle, afin de soumettre les jeux à un test réel d’amusement des enfants et des parents quand ils seront autour de la même table. Le ton de Plateau Marmots est caressant et mordant, en fonction du degré de génie ou de foutage de gueule auquel tu es confrontée en testant le jeu.

Comme tu le sais, pour beaucoup de parents, l’achat d’un jeu représente un investissement important sur leur budget du mois. Donc s’ils pouvaient éviter de le claquer chez n’importe qui en n’importe quoi, tout le monde en sortirait gagnant. Et comme tu t’adresses à des parents qui ont probablement entre 20 et 40 ans, tu peux leur donner un ton qu’ils pourront comprendre. Cela va donc de la bienveillance d’un Sam Gamegie (“Monsieur Frodon, ce jeu de pingouins culbutos me semble parfait pour alléger votre fardeau quotidien“) aux allusions hautement pédagogiques de Léodagan (“Donc ce qu’il va se passer, c’est que si j’en prends encore un à jouer à 1 2 3 Prout !, je vais lui installer une salle de jeux particulière dans les oubliettes, avec plein de jeux rigolos aussi. On verra s’il arrive à faire “prout” avec le bide ouvert.”

Plateau Marmots persifle mais soutient, aboie mais ne mord pas (trop fort), suggère mais ne prescrit pas. Nous ne sommes pas des vendeurs et nous donnons notre avis en toute honnêteté, en toute simplicité, et en toute colère, au besoin. Nous voulons transmettre notre expérience de joueurs à ceux qui ne le sont pas par choix personnel, mais qui souhaitent s’y mettre pour que leurs enfants découvrent cet univers de la meilleure manière possible.  

S’il est pédagogique, le ton du site, n’est donc ni professoral ni pédant (contrairement à ce post). Nous sommes lucides et donc parfois cyniques mais plus que tout nous aimons jouer et nous nous enthousiasmons pour tout jeu qui lui semblera réussi et amusant. Même si c’est un jeu éducatif. Même si c’est un jeu édité par Hasbro ou Mattel. Si si.

Le ton de Plateau marmots est donc celui d’un adulte qui a gardé son côté “sale gosse” et frondeur quand il est en pétard, mais qui ne peut s’empêcher de relancer les dés pour une nouvelle partie, histoire de voir. 

Et c’est très bien comme ça. 

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