Test – Village Pillage
Votre village, c’est le plus beau, évidemment. Vous avez des fermiers, des marchands, une banque, des remparts pour vous protéger et quelques chapardeurs patentés pour aller embêter les villages alentour. Et des navets. Beaucoup de navets.
Oui, mais voilà : les villages voisins sont stupides. Ils sont persuadés que ce sont LEURS villages les plus beaux, alors que c’est bien évidemment le vôtre. Quels idiots !
Pour régler ce différend, vous avez décidé de lancer un défi à tous les villages de la région. Le premier village qui pourra présenter 3 reliques gagnera le droit de fédérer les autres. Mais les reliques, ça coûte beaucoup, beaucoup de navets !
Village Pillage est un jeu de Peter C. Hayward et Tom Lang, illustré par Tania Walker. C’est édité en France par Origames
Une boîte fort jolie, mais…
À l’ouverture de Village Pillage, on se surprend à vouloir faire des mathématiques pour calculer le volume réellement occupé par le jeu dans la boîte. Alors attention, je comprends bien les contraintes éditoriales qui exigent que le jeu soit visible sur les étals, pas de souci. Mais franchement, on pourrait bien faire tenir (sans forcer) 8 exemplaires du jeu dans la boîte (en restant large). C’est dommage, car cela crée toujours une déception à l’ouverture, qui ne va pas trop en faveur du jeu. Un détail, soit.
C’est d’autant plus dommage que le jeu est fort agréable à l’oeil. Il s’agit essentiellement d’un deck de cartes : chacune d’entre elles représentant un habitant du village. Au total une petite cinquantaine de cartes en comptant l’extension fournie. Le visuel de chaque villageois est vraiment très réussi, et c’est un plaisir de les détailler tant leurs bouilles sont sympatoches et expressives.
Le jeu contient également une flopée de jetons navets (la monnaie du jeu) et des jetons reliques (les objectifs à accumuler). Ah oui, il y aura aussi un jeton poulet, utilisé dans quelques cas de pile ou face.
Visuellement le jeu est très réussi, la règle est limpide (et pleine d’humour) et on a immédiatement envie de s’y coller !
Des configurations assez différentes
Avant d’entrer dans le vif du sujet, sachez que le jeu prend un rythme très différent selon qu’il soit joué à deux, trois ou plus de trois joueurs. Chaque configuration a ses propres avantages, mais nous vous conseillons d’effectuer vos premières parties à trois joueurs, en particulier avec des enfants. À plus de 3 joueurs, en effet, un système d’alliances se met naturellement en place, et c’est toujours compliqué pour des marmots de gérer ce principe. On notera d’ailleurs que dans la configuration 3 joueurs, le jeu peut-être joué bien avant les 10 ans requis par la boîte (dès 8 ans, en fait).
Mon premier deckbuilding
Le but du jeu, on l’a dit, est de s’enrichir pour parvenir à acheter des reliques. Ces dernières ont un coût élevé et vont demander de plus en plus de navets pour être achetées.
Pour gagner des navets, il faut cultiver ses terres ou envoyer ses pillards s’occuper des champs des villages voisins. Oui, mais voilà, il faut aussi penser à défendre ses propres terres et à sécuriser ses gains. Et, bien évidemment, on ne peut pas tout faire en même temps.
Dans Village Pillage, vous trouverez plusieurs types de cartes :
- Les cartes rouges sont utilisées pour attaquer vos voisins
- Les bleues pour vous défendre
- Les vertes pour cultiver
- Les jaunes pour commercer
Chaque joueur commence la partie avec une main identique constituée des cartes de base : 1 fermier, 1 pillard, 1 rempart et 1 marchand. Au moment de la mise en place, 4 cartes sont piochées du deck et disposées face visible au centre du jeu. C’est le Marché, dans lequel vous pourrez ensuite acheter de nouveaux villageois à ajouter dans votre main. Car oui, vous l’aurez compris, Village Pillage est un jeu de deckbuliding. Très light, certes, mais deckbuilding tout de même. Vous allez donc pouvoir améliorer votre main de départ au gré de vos achats, et obtenir des cartes plus puissantes. Chaque carte présente sur le marché est unique : aucun adversaire ne pourra avoir la même que vous. Il n’y a aucune limite à la taille de votre main, et vous pourrez donc en acheter autant que bon vous semble. À vous de savoir quelle carte jouer au bon moment, car si elles sont plus puissantes, les cartes du marché présentent souvent un risque de retour de flamme non négligeable.
Pierre papier navet
Pour jouer, chaque joueur choisit deux cartes de sa main et les pose simultanément face cachée : 1 carte en direction de son voisin de gauche et 1 en direction de son voisin de droite. Une fois que tout le monde a posé les cartes, elles sont toutes retournées et leurs effets se déclenchent. Chaque carte produit son effet en réaction à la carte qui est placée en vis-à-vis, et indique quel sera son effet si elle est opposée à une autre couleur. Cela en revient à dire que l’effet de la carte que vous jouez repose essentiellement sur l’opposition qui sera jouée en face. Si la couleur de carte en face de la vôtre n’est pas listée, il ne se passe rien.
L’idée que l’on retrouve assez rapidement, c’est celle d’un pierre papier ciseau. Les cartes vertes sont très vulnérables aux cartes rouges (les fermiers ont du mal face aux pillards), mais les cartes rouges font moins les malignes devant les cartes de défense. Les cartes achetées sur le marché permettent bien évidemment de nuancer (ou de renforcer !) cette règle, aussi il faudra être attentif sur les achats de vos adversaires, pour avoir une certaine lisibilité des sales coups qu’ils risquent de vous faire. Si vos voisins n’achètent que des cartes rouges, quelques cartes bleues sous le coude ne seraient pas une mauvaise idée…
Les effets des cartes tournent la plupart du temps autour du nombre de navets que vous allez produire ou chourer à l’adversaire. Il faudra donc essayer de sentir le coup venir et de jouer offensif si vous êtes persuadé que l’un de vos voisins va s’occuper de ses récoltes. Mais comme dans tout pierre-papier-ciseau, il sera parfois très difficile de lire dans le jeu de l’adversaire, et on s’en remettra alors à cette bonne vieille chance.
Les navets à la banque
Vous allez me dire « bah y’a qu’à jouer tout le temps agressif, ce qui limitera les risques de se faire piller ses récoltes ». ET je vous répondrai que les auteurs du jeu ont senti le coup venir et ont introduit une subtilité qui impose le respect. En effet, les navets que vous gagnez sont dans un premier temps stockés devant vous, accessibles aux raids des adversaires. Pour les sécuriser, il faudra jouer une carte qui propose l’action de « Déposer à la banque » qui empêchera vos adversaires d’y mettre le nez. Et, bien évidemment, ce ne sont pas les cartes les plus offensives qui vous permettront de réaliser cette action.
Vous devez donc être en mesure de produire (ou de voler), mais aussi de sécuriser vos gains. Vos adversaires attentifs seront donc tentés de s’imaginer qu’après une carte verte, vous allez sans doute jouer une carte vous permettant de « banquer ». Et de vous guetter sur le chemin de la banque avec un gros gourdin.
Tout faire en double
Ne perdez pas de vue non plus que vous devez en permanence gérer non pas un, mais deux adversaires. Ce qui veut dire que la carte d’attaque que vous jouez à gauche, vous ne pouvez la jouer à droite. Il est obligatoire de jouer deux cartes à chaque tour (même quand vous jouez à deux), ce qui demandera parfois des choix cornéliens. Et comme tout le monde joue simultanément, il faut vraiment suivre le fil pour mettre en place une stratégie efficace.
Mais élaborer une stratégie n’a rien d’impossible. L’aléatoire est certes présent, mais comme dans tout jeu de bluff, il est possible après quelques parties de comprendre le jeu de vos adversaires en fonction de leurs achats… et de le contrer !
Je souis rrriche !
Petit à petit vous allez donc accumuler des navets. En perdre, et en regagner. Quand vous en aurez assez sous le coude, vous pourrez jouer un marchand pour acheter une relique. Le souci, c’est aussi qu’en général, le moment où vous avez assez de navets correspond aussi au moment où vos adversaires commencent à s’exciter et à vous envoyer leurs trublions pour vous ratisser. En fonction de ce qui se passe du côté de vos adversaires (qui ont leurs propres problèmes, on vous rassure), cela pourra être une bonne idée de tenter de bluffer un peu avec des cartes défensives pour protéger vos gains avant de les dépenser outrageusement. Parce que figurez-vous qu’il y a un ordre dans la résolution des cartes en fonction de leur couleur, et que l’effet des marchands passe toujours en dernier. Un pillard aura donc toujours le temps de vous piquer votre pognon avant que vous n’ayez pu le dépenser, s’ils sont joués simultanément.
Le pillage dans les nuages
Alors soyons clairs deux minutes. Si vous jouez entre adultes, et surtout entre adultes joueurs, vous risquez parfois de quitter la table de jeu avec grand fracas. Pourquoi ? Parce que la mécanique de fond de Village Pillage est bel et bien celle de Pierre-Papier-Ciseaux, et que c’est donc la foire à l’aléatoire en ce qui concerne la mécanique de base. Cela n’empêche évidemment pas de nombreuses stratégies de se mettre en place, mais oui, oui oui et oui, on est bien sur une base d’effets déclenchés par la carte d’en face, et il sera souvent impossible de prévoir ce que l’adversaire va jouer puisque, sauf quelques exceptions notables, les cartes retournent dans la main des joueurs après chaque round.
Et pourtant, que plaisir que ce jeu, calibré pour du deckbuilding certes light, mais efficace, et pour des parties vraiment amusantes ! Si les plus gros joueurs resteront parfois sur leur faim, tous les autres s’amuseront de ce jeu parfaitement calibré pour des parties aussi intenses que funky. Les navets changent de main rapidement, et le côté incontrôlable du pierre papier ciseau apportent une dynamique particulièrement réjouissante aux parties. Ça s’apprend vite et on s’amuse illico, dès 8 – 9 ans.
Les tactiques, on l’a dit, se mettront en place dans la foulée, tranquillement. On lancera les premiers bluffs, puis les premiers contre-bluffs, puis les contre-contre-bluffs, et on glissera sans même s’en rendre compte dans un jeu beaucoup moins aléatoire, qui repose autant sur le choix des cartes que sur l’anticipation des ambitions de l’adversaire. Du pierre-papier-ciseau avec une vraie ambition derrière, qui l’eût imaginé ?
L’avis de Plateau Marmots
Village Pillage est au final un vrai régal de jeu simple et accessible qui permet de découvrir le deckbuilding et les premières fourberies à la cool, sans pression particulière. On y jouera volontiers dès 8 ans pour découvrir les règles, avant de glisser vers le jeu plus tactique vers 9 – 10 ans. Le côté aléatoire du jeu donne une véritable chance aux marmots, qui feront parfois n’importe quoi sans conséquence… et gagneront ! Dans le cadre du jeu avec des enfants, on privilégie les parties à 3 joueurs, pour éviter l’apparition des alliances ambigües et de « tous contre lui », asses dures à vivre tant qu’on a pas un solide background de jeu de société.
La grande force de Village Pillage, c’est son jeu 100% simultané, puisque chacun abat ses cartes en même temps, et crée de fait un tour de jeu toujours dynamique et plein de suspense.
Pour le reste, Village Pillage est un réjouissant jeu de cartes, plein de bonne humeur et au concept à la fois ancestral et rafraîchissant. Une excellente surprise !
On aime
- Une mécanique simple et astucieuse
- Un premier deckbuilding accessible
- Beaucoup de fourberie
- Jeu en simultané
- Un peu de psychologie pour deviner l’action des adversaires
On aime moins
- L’effet “pierre-papier-ciseau” parfois injuste
- Du jeu d’alliances à 4 ou 5, pas forcément adapté aux enfants
Le trouver
Fiche technique
Un jeu de Peter C. Hayward et Tom Langµ
Illustré par Tania Walker
Edité en France par Origames
Pour 2 à 6 joueurs
A partir de 10 ans (mais vous pouvez attaquer à 8)