Test – Animots
Bon, alors on va être complètement honnêtes. Quand on a vu arriver la boîte d’Animots, on a pensé « outch ». Oui oui, « outch ». Un délit de sale gueule thématique, assurément, mais c’est plus fort que nous lorsqu’on voit débouler un jeu avec des lettres. Les jeux de société pour enfants qui comportent des lettres sont généralement plutôt moyens, pour rester polis. Il s’agit souvent de jeux assez mal aboutis, dont le but est surtout de plaire aux parents, en mode « Hey regarde, ton marmot va s’amuser ET il va préparer son hypokhâgne en même temps. Tu verras, la littérature va devenir son amie et il va enfin poser sa Switch grâce à toi car tu es un bon parent qui offre des jeux avec des lettres dedans ». Trop chouette, vraiment. Le cadeau idéal que vous offrez à des enfants que vous ne connaissez pas, afin de prouver à leurs parents que vous êtes un tonton éclairé. « Est-ce qu’il y a du fun dans la boîte ? Euh je ne sais pas. Mais regarde, il y a des lettres, c’est forcément bien. »
Vous voyez l’idée.
Nous avons donc ouvert la boîte à reculons (et c’est pas pratique car on se prend facilement un mur), nous avons lu les règles et nous avons joué. Et même si une part de nous se frustre de ne pas pouvoir mitrailler un pamphlet défoulant et rigolo à écrire, il s’avère qu’en vrai, le jeu est très bien foutu, et surtout amusant à jouer.
Quel dommage.
Anja Wrede & Bruno Faidutti Weberson Santiago| Space Cow
2 à 6 joueurs | A partir de 6 ans | 20mn| Lettres et reconnaissance tactile.
Animots : le concept
Animots est un jeu coopératif AVEC DES LETTRES, qui se joue de 2 à 6 joueurs à partir de 6 ans, il contient DES LETTRES, des cartes, un sablier, un grand sac avec des trous, et DES LETTRES.
Le but du jeu consiste à se faire deviner collectivement des noms d’animaux au moyen de lettre piochées dans le sac. Au menu : un peu de prise de risques, de la tactique, et beaucoup de reconnaissance tactile.
La mise en place est simple et rapide : toutes les lettres sont placées dans le grand sac en toile, posé à plat au milieu de la table. Ce sac est de forme un peu particulière car il représente le grand lac dans lequel les animaux vont boire. Attention : le sac contient 6 trous, donc il faudra faire gaffe au moment de le mettre en place : il est facile de faire tomber des lettres en le transpourant. Chaque joueur place ensuite devant lui un petit paravent qui lui permettra de dissimuler le nom de l’animal à reconstituer du regard des autres joueurs. L’idée est d’avoir le nom de l’animal sous les yeux afin de savoir comment l’orthographier. Cette configuration sera sans doute superflue pour les adultes (et encore, pas tous), mais elle est essentielle pour les enfants, en cours d’apprentissage de l’orthographe. Parce qu’hippocampe et ipeaukamp, c’est pas tout à fait pareil, quand on doit le deviner.
L’un des points les plus intéressants à noter, c’est que chaque carte propose deux noms d’animaux : le premier est plus simple (PANDA, OURS, HIBOU…) et rapportera une étoile s’il est identifié, le second est plus complexe (HIPPOCAMPE, RHINOCEROS, FOURMILIER…) et pourra rapporter deux étoiles s’il est trouvé.
Une fois que chaque joueur a choisi s’il veut tenter l’animal « simple » ou « difficile », il l’insère dans son paravent. L’un des joueurs retourne le sablier, et la manche est lancée.
« Non, ça c’est un K, raté ! »
Pendant une manche de deux minutes, les joueurs plongent une (et une seule !) main dans le sac et tentent de récupérer les lettres correspondant au nom de l’animal qu’ils doivent faire deviner. Ils ne peuvent prendre les lettres qu’une par une et doivent conserver ou remettre dans le sac la lettre piochée. Comment distinguer une lettre d’une autre ? Tout simplement en la touchant, en prenant le temps de ressentir ses contours en la tâtant avec les doigts. Est-ce un L ou un J ? Un G ou un K ? Une fois la lettre sortie de sac, elle est comparée au nom de l’animal. Si la lettre est bien présente dans le nom, le joueur la pose en vrac devant elle. Sinon, elle retourne dans le sac.
Hippo, oui. Mais potame ou campe ?
Une fois le temps imparti écoulé, les joueurs retirent leurs mains du sac et doivent alors reconstituer le nom de l’animal avec les lettres qu’ils ont piochées pendant la manche, en les disposant sur un mini plateau individuel. Ce plateau comporte une zone, le plus à gauche, qui permet de placer la première lettre du nom de l’animal, si elle a été trouvée. Ce sera une indication importante pour les autres joueurs et ne manquera pas de les aiguiller dans la bonne direction. Il sera toujours plus simple d’identifier une sauterelle avec SAU qu’avec AUT. Si toutes les lettres ont été trouvées, il suffira de les placer dans le bon ordre. Sinon, il faudra les placer de manière aussi évocatrice que possible, afin de bien faire comprendre où se trouvent « les trous », pour aider à faire deviner que _ O A _ A est bien évidemment un koala.
Chaque joueur retourne alors son plateau individuel en direction de ses partenaires, afin de leur permettre de deviner de quel animal il s’agit. Attention, les autres joueurs n’ont droit qu’à une seule réponse, collective ; ils devront donc se concerter avant de répondre. Et il est bien entendu interdit de fournir la moindre indication, par exemple en pouffant, gloussant, ou en faisant des bruits d’animaux.
Si l’animal est deviné, il est révélé et laissé sur la table pour se souvenir du score (1 ou 2 étoiles, pour rappel). Sinon la carte est remise dans la boîte.
Une partie complète dure ainsi 5 manches, donc environ 5 x 2 minutes. Après la dernière manche, les étoiles sont comptabilisées et rapportées à un tableau de réussite final, qui prend en compte le nombre de joueurs. On découvrira alors quel est l’animal symbole de notre – flamboyante – réussite, du pigeon (pas ouf) au lion.
Une réussite totale !
Comme nous l’indiquions en intro, ce type de jeu nous titille généralement, ce qui est un peu bêta de notre part, car certains jeux de lettres sont bien évidemment excellents. Et on notera d’ailleurs que Space Cow se garde bien de toute mention pédagogicomachinchouette sur la boîte du jeu.
Mais en dépit de nos réticences un peu coconnes, force est de constater qu’Animots est une réussite totale, plébiscitée par les premiers concernés, à savoir les enfants. Et qu’ils jouent entre eux ou avec nous, c’est un vrai moment de plaisir que de farfouiller dans ce sac collectif et de conception très maline pour tenter d’identifier un F, un J ou un Z (mais ne serait-ce pas un N, à bien y réfléchir) dans la frénésie de mains qui farfouillent. Le jeu est à la fois stressant et gratifiant, intense, et surtout amusant. Il n’apprendra certainement pas à vos enfants à écrire correctement, mais il leur permettra en revanche de faire preuve de tactique dans le choix des lettres à trouver. Prenons l’exemple de l’HIPPOPOTAME. Si le joueur s’acharne à piocher HIPPO pour sortir le nom de l’animal dans l’ordre, les devineurs auront ensuite un doute légitime entre l’hippopotame et l’hippocampe. Mais si le joueur parvient à afficher _IPO_TAM, il donne des indications finalement bien plus précieuses, même si elles sont incomplètes. Il ne s’agit donc pas de reproduire les lettres de son animal, mais d’identifier les lettres les plus importantes du mot, celles qui permettront de le faire deviner à coup sûr. Et ça les amis, ça, c’est franchement très très malin !
De belles possibilités d’adaptation
Du coup, la portée pédagogique de ce jeu est finalement bien plus importante qu’un jeu de lettres classique, car outre sa dimension tactile, Animots invite à la réflexion sur ce qui distingue un mot d’un autre, sur ce qui le caractérise, et donc la manière dont il est construit.
L’éditeur, Space Cow, ne s’y trompe d’ailleurs pas, en proposant deux possibilités qui ne manqueront pas de rencontrer du succès auprès des enseignants. La première et la plus évidente, cest la présence d’un deck de cartes animaux en langue anglaise. Si vous voulez vous faire un trip linguisticoludique, à vous les mosquitos, ducks, eagles, warthogs ou… sperm whales (je vous laisse chercher ce que c’est).
Mais là où l’éditeur est encore plus cool, c’est qu’il vous offre même la possibilité de créer vos propres cartes à imprimer directement sur son site. Rien ne vous empêche de créer des cartes avec les noms de vos héros préférés ou des copains d’école de vos marmots, ou de vous lancer avec des mots en breton, en chti ou en occitan. La seule contrainte, finalement, c’est de s’assurer que les lettres de vos mots soient bien présentes dans l’alphabet français. Cette possibilité d’adaptation est vraiment intéressante et ouvre naturellement des possibilités pédagogiques d’envergure.
Quelques défauts, quand même ?
On bah vous nous connaissez : si on ne râlouille pas pour tout ou n’importe quoi, c’est que vous vous seriez trompés de site. Honnêtement, le jeu nous a surpris en bien et il est difficile de lui reprocher quoi que ce soit. La direction artistique est vraiment chouette, l’idée est excellente et la réalisation est de bonne qualité. Le seul point de chipotage qui accroche un peu est celui des paravents qui servent à masquer les cartes. L’idée derrière ce paravent est pourtant fort ingénieuse. Sa base, en effet, permet d’y insérer une carte, de sorte à ce que seule la moitié indiquant l’animal que l’on veut faire deviner nous soit apparente, tout en étant invisible aux autres. Le souci, c’est que la base de certains paravents est un chouia trop serrée, et qu’il n’est pas toujours si simple d’y insérer une carte, a fortiori à 6 ou 7 ans. Cela génère du coup des manipulations un peu hasardeuses, au cours desquelles la carte est parfois dévoilée. Rien de grave au demeurant – il suffira d’en piocher une autre – mais cela peut créer des moments hachés et un peu frustrants lors des mises en place de nouvelle manche… le marmot faisant malencontreusement tomber sa carte lors de la mise en place et hurlant à la mort qu’il veut quand même la jouer.
L’avis de Plateau Marmots (Olivier)
Animots est un jeu très malin qui provoque l’intelligence de nos marmots en se payant le luxe d’être très amusant à jouer. Une sorte de combo ultime génial entre excitation, émerveillement, analyse et goût de reviens-y qui fait mouche et s’impose comme le meilleur jeu de lettres pour enfants. Pourquoi tous ces éloges ? En dehors du chèque envoyé par Space Cow, principalement parce que le jeu fait appel à une utilisation des lettres véritablement ingénieuse. En deux minutes, personne ne parviendra à reconstituer les lettres du mot ORNITHORYNQUE en les identifiant au toucher. Jamais. Et peu importe, car vous n’avez pas besoin de toutes ces lettres. Il vous suffit presque de réussir à retrouver OR_Y_Q pour que le mot puisse être trouvé. Et c’est ce travail d’analyse qui est redoutablement brillant, sans jamais se départir de son amusement (qui demeure pour nous le curseur essentiel à tout JEU de société). Alors oui, évidemment, le sac va bouger pendant la pioche, peut-être que certains enfants seront tentés de prendre discrètement les lettres deux par deux ou de regarder par un trou du sac… Mais dans la mesure où Animots est un jeu coopératif, la triche est forcément moins tentante et mieux maitrisée. Bref, vous l’aurez compris, Animots est une masterclass du jeu léger, rapide et intelligent, qui surclasse largement Mysterium Kids (qui lui ressemble pas mal sur de nombreux aspects). La seule chose que l’on souhaite à présent, c’est d’autres decks thématiques : les jouets, les vacances, la récré, les écoles de magie… car même si l’éditeur nous permet de créer nos propres cartes, il est toujours plus chouette d’en avoir avec des illustrations aussi belles que celles proposées par le jeu.
On aime
- Un concept très malin
- Reconnaissance tactile et orthographe : un combo improbable mais gagnant
- Une direction artistique très réussie
- De multiples déclinaisons “maison” à essayer
- Le deck en anglais, pour varier les plaisirs
- Faire comprendre aux marmots comment les mots sont composés et leur permettre d’identifier les lettres “clé” pour les faire reconnaître en piochant dans un sac. Improbable mais génial.
On aime moins
- Des paravents pratiques mais pas forcément simples à utiliser à 6 ans
- On veut d’autres decks ! Encore ! Plein !