Test – Cartaventura Odyssée : Le Trésor de Libertalia
Le soleil se lève sur l’île de Tortuga et inonde le sable blanc d’une fine lumière dorée. Le discret clapotis des vagues se mêle aux bruits de la forêt tropicale, qui démarre quelques mètres à peine après le rivage. Sur la plage, une bouteille de rhum danse paisiblement au gré des vagues qui la font rouler de la mer jusqu’au sable dans un incessant va-et-vient. Non loin de là, bois flotté et débris divers témoignent qu’un événement inhabituel s’est produit quelque part au large. A bien y regarder, la crique est jonchée de débris divers : tonnelets, planches, caisses, outils et armes, qui semblent avoir été projetés là au hasard d’une explosion de poudre. Et c’est au milieu de ce chaos de bois et de métal que vous vous éveillez, étirant les bras, étouffant un rot et vous grattant la nuque. A voir votre frimousse blasée, on sent que vous en avez vu d’autres, c’est pour cela que personne ne s’étonnera vraiment de vous entendre dire :
« Bon. On fait quoi maintenant ? »
Thomas Dupont, Ophélie Gibert | Jeanne Landart Blam !
à partir de 1 joueur| 6 ans (accompagné) | 20 min| Aventure narrative, Collectionnite aiguë
Cartaventura ?
Cartaventura Odyssée est le nouveau venu de la gamme Cartaventura, une célèbre saga d’aventures narratives jouables en solo, matérialisées sous la forme d’un paquet de cartes. Certaines cartes concernent la trame (avec souvent des choix à effectuer), d’autres forment un plan qui permet de se déplacer d’un lieu à l’autre, et d’autres encore représentent les rencontres et les objets collectés en chemin. Lancée en 2021, la gamme Cartaventura a rapidement rencontré le succès avec des épisodes chez les Vikings, au Tibet ou au Far West. La série a gagné ses lettres de noblesse en travaillant avec des historiens afin de s’assurer de la pertinence des récits et du ton « juste » de chaque opus. Chaque aventure permet donc une incursion réaliste et documentée dans la période proposée, ce qui permet de se prendre un petit cours d’histoire tout en explorant les environs. Une formule « livre dont vous êtes le héros » typique en mode « je fais un choix, je meurs, je recommence, je fais un autre choix » qui a ses adeptes (comme ses détracteurs) et que l’on retrouve dans de nombreuses productions actuelles, comme Heroicartes.
Mais contrairement aux autres épisodes, Cartaventura Odyssée – Le Trésor de Libertalia est destiné à un public plus jeune, c’est-à-dire à partir de 6 ans. Un Cartaventura « Kids » si vous préférez, mais avec des différences notables avec les autres épisodes, à commencer par la taille de la boîte, à peu près deux fois plus grande que celle d’un épisode « classique ». Qu’est-ce qui justifie cette différence de taille ? Ne vous inquiétez pas : on va immédiatement ouvrir le coffre au trésor pour en savoir plus !
Des cartes et de l’aventure
Comme son nom l’indique, Cartaventura est donc avant tout un jeu de cartes, et c’est clairement ce que l’on trouve dans la boîte. La différence avec les autres Cartaventuras tient essentiellement dans la structure des cartes, cette fois divisées en deux paquets distincts au lieu d’un seul. Le premier est accessible immédiatement, et le second est placé dans le fond de la boîte, caché dans un « coffre » auquel vous aurez ponctuellement accès au fur et à mesure de l’aventure. Une mise en scène particulièrement judicieuse qui se retrouve dans le thème et le gameplay, et que l’on trouve particulièrement bienvenue pour les sensations qu’elle apporte en cours de partie : on y reviendra plus bas.
Les cartes sont d’excellente qualité, solides et parfaitement lisibles, ce qui est essentiel pour un jeu de ce type. Dès l’ouverture de la boîte le joueur est accompagné dans la mise en place, avec des cartes surdimensionnées, utilisées comme emplacements pour les autres cartes. Vous ne vous mélangerez donc pas les crayons pour la pioche, la défausse et les secrets débloqués, ce qui vous permettra de vous concentrer sur le récit.
La mise en place est quasiment instantanée, ce qui permet d’embarquer immédiatement pour le monde exaltant de la piraterie pour une épopée en 3 actes qui sent bon les embruns, la chasse aux trésors et la poudre à canon. Des actes qu’il faudra faire dans l’ordre car ils retracent la carrière d’un pirate qui s’engage, vit des aventures, monte en grade et s’expose à de nouveaux dangers.
Le jeu commence d’ailleurs alors qu’un navire de la marine britannique est attaqué par un navire pirate. Le joueur décide de profiter de cette opportunité pour changer de camp et rejoindre les rangs ennemis, et ainsi mener une carrière de pirate.
Pour jouer, il suffit… de lire la carte indiquée et de suivre ses indications qu’elle contient. Il peut s’agir :
- D’un texte narratif
- D’un objet collecté
- D’un élément de navigation
- D’un ennemi
Dans le cas des textes narratifs, ils décrivent ce qu’il advient lorsqu’un joueur explore un lieu ou lorsqu’il résout un dilemme. Il suffit de lire le texte et de piocher éventuellement les cartes correspondant aux conséquences de vos choix.
Les objets collectés servent naturellement le récit et vous permettront de passer au chapitre suivant si vous remplissez les conditions requises. Un chapitre vous demandera de l’or pour payer votre équipage, un autre de la nourriture pour survivre dans une jungle hostile. A vous de trouver la meilleure manière de collecter ces ressources au vu des possibilités offertes par le scénario.
Les éléments de navigation, ce sont des cartes représentant les lieux où votre équipage peut se déplacer, formant peu à peu un plan des environs. Visuellement c’est très chouette et cela donne la sensation de la liberté de déplacement et de sortir du simple cadre de la narration. On regarde la carte qui se forme au fil de l’exploration et l’on se surprend à regarder les détails et à se rêver sur les mers. Chaque nouvelle carte dévoilée permet souvent d’en dévoiler d’autres, soit pour prolonger la navigation, soit pour révéler des lieux ou des rencontres sur le parcours. Une épave abandonnée, une tempête à l’horizon ou un sentier dans la jungle, ce sera à vous de choisir votre chemin… et de prendre les risques qui s’imposent. Car le danger est partout, et plus particulièrement sous la forme d’un poursuivant qui change au fil des chapitres, histoire de vous mettre la pression.
Qu’il s’agisse d’une tribu indigène ou d’un chasseur de pirates, vous aurez rapidement une carte placée sous celle de votre personnage, qui sera inclinée à chaque fois que vous laisserez trop de traces derrière vous. Si la carte atteint sa troisième marque, ce sera le game over immédiat, et vous devrez alors recommencer l’aventure en effectuant d’autres choix. Une mécanique particulièrement chouette qui donne un bon coup de pression aux marmots, mais que l’on regrette de voir répétée tout du long avec des protagonistes différents, comme une grosse ficelle mécanique un peu trop utilisée.
On notera aussi que beaucoup de rencontres peuvent être abordées de différentes manières, selon que votre navire en aborde un autre avec un drapeau blanc ou un drapeau noir, et que les conséquences de ce choix auront évidemment un impact immédiat sur le scénario, soumettant le joueur à de savoureux dilemmes, sur lesquels on reviendra un peu plus loin. Les rencontres permettront en outre de débloquer de nouvelles cartes, soigneusement cachées dans le coffre au trésor.
Coffres, secrets, savoirs et deckbuilding…
Car OUI : la partie la plus satisfaisante du jeu est bien évidemment le moment où nous sommes appelés à aller farfouiller dans le coffre à la recherche de nouvelles cartes. Certains éléments de scénario vous invitent en effet à soulever le fond de la boîte pour en extraire des cartes précises.
Mais attention : ces cartes ne seront pas lisibles de suite, non non non ! Comme dans tout bon deckbuilding, elles sont placées dans une zone spéciale de l’aire de jeu, réservée aux secrets, et ne seront intégrées à la pioche qu’une fois la partie terminée. Cela signifie qu’un événement ou une rencontre a modifié votre connaissance de l’histoire, et que vous aurez des possibilités différentes lorsque vous rejouerez le chapitre, ou des possibilités supplémentaires pour les chapitres suivants.
Certaines cartes « Secrets » s’ajouteront au deck alors que d’autres viendront carrément remplacer des cartes que vous avez déjà rencontrées. Votre prochaine partie ne sera donc pas tout à fait la même, ce qui vous permettra de dénicher les 7 fins différentes de l’histoire, ainsi que l’ensemble des cartes « Savoirs » dissimulées dans l’aventure, c’est-à-dire des cartes d’info sur les grandes figures, les navires ou factoïd du monde de la piraterie que vous devez débusquer et collectionner au fur et à mesure de vos traversées. Une idée qui rappelle clairement une mécanique d’Heroicartes, mais qui fonctionne très bien pour donner envie de rejouer encore et encore. Grosse rejouabilité, donc, pour un titre à la mécanique très maitrisée et au récit varié, de très belles sensations de jeu, en solo ou à plusieurs. A tout point de vue, Cartaventura Odyssée est un pur plaisir d’aventure narrative.
Le Dilemme du Roi Pirate
Après avoir chanté les louanges de Cartaventura Odyssée, il est tout de même temps de poser la question qui fâche, celle de l’âge indiqué pour une découverte du jeu, à savoir 6 ans, en lecture accompagnée. Si le dos de boîte vous prévient – un peu mollement – de la présence de dilemmes à discuter, il faudra dans les faits s’assurer que vos enfants soient en mesure de pénétrer dans cet univers, plus mature que l’emballage ne le laisse supposer de prime abord.
Nous sommes ici dans un univers de piraterie développé par des historiens, ce qui signifie qu’une certaine dose de réalisme est présente dans le récit. Ce n’est pas un mal en soi, bien au contraire, mais cela suppose que les enfants les plus jeunes soient en mesure de comprendre les actions qu’ils vont mener. Parce qu’on ne va pas se mentir : l’univers ludique autour de la piraterie pour les enfants de 6 ans est bien souvent réduit à l’exploration, au combat naval, à la chasse au trésor et sur l’exotisme des Bahamas au soleil couchant.
Or, Cartaventura Odyssée va nettement plus loin dans le réalisme en proposant au joueur de se livrer à de vrais actes de piraterie. Ce n’est jamais une obligation, mais c’est une route qui sera souvent récompensée dans les faits.
Je prends un exemple parmi d’autres, mais il est très parlant.
Vous avez la possibilité d’attaquer un navire marchand. Ce dernier, effrayé, vous supplie de lui laisser la vie sauve, et en échange il vous donnera ce que vous voulez. L’offre est tentante, mais le laisser en vie fera probablement avancer le chasseur de pirates sur votre piste. Le joueur a donc le choix : laisser le marchand en vie et risquer le game over, ou le tuer et ainsi effacer ses traces.
Il s’agit ici d’une question purement morale : « est-ce que je dois ou non prendre le risque de laisser un témoin en vie ? ». Tous les enfants de 6 ans ne sont pas encore prêts à affronter ce genre de question, surtout si les parents ne sont pas informés qu’ils vont devoir y faire face.
Dans une autre situation, le joueur a le choix entre libérer des esclaves ou prendre de l’or. Encore une fois, la question est purement morale : mais est-ce que les enfants de 6 ans connaissent les tenants et les aboutissants de l’esclavagisme ? Est-ce que les parents sont motivés pour se lancer dans un cours explicatif rapide pour traiter du sujet ?
Chez nous, les questions ont surpris les petits joueurs de 6 à 7 ans qui s’y sont confrontés. Tout simplement parce qu’ils devaient prendre conscience qu’ils incarnaient des personnages potentiellement « méchants et cruels », ce qui ne leur est pas souvent demandé dans les jeux ou les histoires de ces âges (pour rappel, à 6 ans on est encore entre la Maternelle et le CP), et cette incarnation soudaine dans un tel rôle n’est pas toujours évidente. BLAM nous assure que de très nombreux tests ont été réalisés en école, et on sait que les éditeurs sont souvent prudents avec ce genre de choses, donc a priori tout va bien. Mais on ne peut que vous mettre un warning sur ces questions qui surviendront en cours de partie, et on aurait vraiment apprécié que l’éditeur se fende d’un petit texte de mise en garde, plus explicite que « des dilemmes à discuter en famille », qui finalement ne donne pas de gros indices sur le contenu réel des sujets abordés. On se retrouve finalement dans la même configuration que Micro Macro avec des contenus un peu hard que l’éditeur a finalement signalé dans son reprint. Et pour être clair jusqu’au bout, je suis HEUREUX que ces contenus un peu touchy fassent partie de Cartaventura Odyssée, car ils apportent une touche de réalisme très intéressante. En revanche je ne pense pas que TOUS les enfants de 6 ans soient armés pour y faire face, et surtout je trouve indispensable que les parents soient informés en amont afin d’être armés pour y répondre. Découvrir les questions en cours de partie, c’est déjà trop tard. Dans mon esprit, le jeu est un 7+ avec un gros trigger warning en préambule, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur le contenu. Après, oui, je sais ce que vous allez me dire : « mon fils de 5 ans regarde Naruto et ma fille de 4 ans est addict à Fortnite et je ne suis sans doute qu’un vieux réac’ qui se dirige de plus en plus vers une horrible logique à la Familles de France ». C’est fort possible, mais au moins vous êtes prévenus.
L’avis de Plateau Marmots (Olivier)
Cartaventura Odyssée – Le Trésor de Libertalia est un éblouissant jeu d’aventure narratif qui reprend des recettes connues tout en innovant avec intelligence. Le voyage est immersif et la rejouabilité a été très travaillée, pour transformer l’aventure en compétition de collectionnite très maligne. L’ensemble est parfaitement huilé et propose un tour d’horizon du monde de la piraterie aux premières loges, pour un voyage particulièrement excitant. L’idée du « Coffre » est incroyablement judicieuse et rebooste totalement l’expérience de jeu Cartaventura, avec des sensations inédites de récompenses glanées en cours de chemin. C’est de l’aventure avec un grand A, et la mécanique de l’ennemi qui vous traque est une vraie bouffée de pression / gestion du risque, influençant vos choix. Quant à ces derniers, ils sont parfois hasardeux, parfois stratégiques, et invitent de temps en temps à se questionner sur un dilemme moral lourd de conséquences. C’est peut-être le seul point qui accroche un peu sur le jeu, d’ailleurs, non pas que la présence de thèmes matures posent problème, mais simplement que l’éditeur ne prévienne pas les parents qu’ils seront soumis à des questions moins anodines que dans la plupart des autres jeux. « Dois-je couvrir ma fuite en assassinant un témoin innocent ? » n’est en effet pas une question que l’on trouve fréquemment dans les jeux HABA ou Djeco. A nous, parents, de vérifier que nos marmots sont prêts à embrasser cette carrière de rapines et de fourberies. De notre point de vue de vieux cons réacs’, le jeu est plus destiné à un public de 7 voire 8 ans, quant certaines notions auront été déjà rencontrées. Et hormis cette petite mise en garde qui nous semblait nécessaire, le jeu est une fantastique aventure sur les mers, qui invite au voyage et à la collection de chaque mystère qu’il recèle. On embarque, et on attend déjà les prochains !
On aime
- Une aventure narrative captivante
- Le plan qui se dévoile sous nos yeux
- Le coffre aux trésors, une trouvaille géniale
- Le plaisir de collectionner les secrets
- Un personnage qui grandit, qui évolue
- Les dilemmes, petits cas de conscience
- Un environnement historique très maîtrisé
On aime moins
- Des thèmes un peu matures qui surprendront les plus jeunes
- Un manque d’information aux parents sur les thèmes abordés
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