Test – Kingdom Run

Il était une fois un royaume magique et enchanté, peuplé par des chevaliers, des sorciers, des animaux de la forêt, des gnomes et des gobelins. Tous les 100 ans, chaque ethnie pouvait prétendre au trône, afin de mettre en place un régime dictatorial et répressif pour gouverner avec bienveillance l’ensemble du royaume. Le Roi n’était pas désigné par droit divin, ni par un vote à suffrage universel à la majorité des trois cinquièmes sauf si le taux d’abstention dépasse les 14,8%. Non. Le roi était désigné parmi l’ethnie qui allait remporter une course à pied, spécialement organisée pour l’occasion. 

Et là, permettez-moi cette parenthèse, je voudrais bien importer cette coutume dans nos contrées. Dès les prochaines élections, si possible. Parce qu’imaginer nos responsables politiques en train de se battre pour un sprint entre Matignon et l’Élysée, je serais franchement pour. Parce que Kingdom Run est un jeu qui fait la part belle aux attaques gratuites, aux alliances de circonstance et à la fourberie, et je pense que beaucoup d’hommes et de femmes politiques seraient super bons dans l’exercice. Enfin je suppose. Fin de la parenthèse, pardon à ceux qui vivent dans d’autres royaumes : vous n’avez qu’à transposer avec les vôtres, chacun ses soucis.

Chaque peuple, donc, envoie ses quatre meilleurs coureurs pour défendre ses chances de choper la couronne. Mais il faudra savoir gérer son effort, avoir un peu de chance, et surtout s’avérer très malin pour prétendre à la victoire.

Kingdom Run est un jeu d’Éric Claverie; illustré par Jiahui Eva Gao et édité par Ankama. Jouable à partir de 7 ans, il peut réunir de 2 à 4 joueurs.

Dans la boîte

L’ouverture de la petite boîte de Kingdom Run est plutôt une bonne surprise, car l’ensemble est très coloré, fidèle à l’univers d’Ankama. Les plateaux de jeu sont particulièrement agréables à l’oeil et permettent de se plonger immédiatement dans l’ambiance fantasy-kawai typique de cet éditeur (Krosmaster, Dofus…). Le jeu se compose de tuiles qui représentent plusieurs segments du circuit, entre plaine et forêt. On apprécie d’ailleurs que les tuiles nous permettent de définir un tracé selon nos envies, même si les possibilités sont finalement assez limitées.

En revanche, râlage classique de ma part à la découverte de stickers à coller sur les jetons. J’avoue que cela me hérisse à chaque fois le poil de devoir coller des trucs, même si on saura apprécier que les jetons soient en bois. Mais voyez-vous : je suis nul pour coller des stickers. Ce n’est jamais aussi centré que je le voudrais, j’ai toujours peur que ça se décolle après quelques parties, etc. Donc les stickers me donnent l’impression que l’éditeur a choisi une solution d’économie, au lieu d’assumer sa fab’ jusqu’au bout. La bonne nouvelle, toutefois, c’est que les visuels à coller sont jolis, ce qui est toujours un plus.

Le jeu contient également 4 dés, quelques tokens et une règle tout à fait lisible, même si certains effets de dés auraient pu mériter quelques exemples supplémentaires pour les marmots. Pas de souci : tout se met bien en place dès la première partie.

Gentlemen, start your legs

La mise en place du jeu est très simple : on crée un tracé qui part du « start » et va vers le « finish », on place quelques jetons indiquant les points de victoire gagnés par les retardataires en fonction de leur position finale sur la piste et on se partage équitablement les pièces d’or qui rapportent, chacune, deux points de victoire.

Il ne rester plus qu’à placer un membre de chaque équipe sur les 4 cases qui précèdent le départ. En effet, on joue toujours avec les 4 équipes de 4 personnages, que l’on joue à 2, 3 ou 4. Attention : les personnages doivent être placés sur leur face « réveillée ». Il est en effet possible de les endormir en cours de route.

Les chevaliers, les sorcières, les gobelins et les créatures de la forêt vont donc s’affronter au cours d’une course d’équipe. Mais vous pouvez aussi bien choisir les jetons en fonction de leur couleur : les 4 peuples n’ont aucune caractéristique ni pouvoir particuliers. Si cela peut se comprendre pour les premières parties, nous vous proposons plus bas une variante très simple à mettre en place qui essaye de distinguer un peu plus les peuples qui s’affrontent.

Un premier joueur est désigné, on lance les dés… Et c’est parti !

Le tour de jeu

Kingdom Run fait partie des jeux qui sont fort simples à jouer, mais finalement assez compliqués à expliquer à l’écrit. Ou alors je n’ai pas le talent pour cela, ce qui est possible aussi. Cela fait plusieurs fois que je m’y essaye, sans jamais être convaincu par la lisibilité du résultat. Et pourtant, je vous le garantis, il n’y a rien de compliqué là dedans.C’est juste que les modes de déplacement différents sont nombreux et qu’ils présentent tous un certain nombre de particularités. Alors on va essayer de faire au mieux et d’y aller doucement.

Le jeu se déroule au moyen de lancers de dés. Le joueur dont c’est le tour lance les dés une première fois. Il a ensuite droit à un second lancer, où il peut relancer tout ou partie de ses dés, mais il devra alors s’en tenir au résultat obtenu.

Ensuite il effectue, dans l’ordre de son choix, les actions obtenues aux dés, sachant qu’il ne pourra effectuer que deux fois la même action pendant un même tour, même s’il a obtenu plus de faces de dés. Si les dés indiquent 3 potions magiques, par exemple, il ne pourra en utiliser que deux, la troisième sera perdue.

Les actions de déplacement

Les bottes (« Dissolution »)

C’est le mode de déplacement le plus classique. Vous prenez tout ou partie des pions présents dans une case, qu’il s’agisse des vôtres ou de ceux des adversaires, et vous en laissez un dans chaque case qui se trouve devant vous. C’est un excellent moyen d’avancer, mais vous ferez aussi probablement avancer vos adversaires. Lesquels ? Dans quel ordre ? C’est à vous de voir. Ce mode de déplacement est très utile pour traverser une rivière sans se mouiller les pieds : il suffit d’y placer le pion d’un adversaire qui ira y barboter à votre place.

La limite de pions présents sur une case est de 4, donc vous ne pourrez jamais avancer plus loin que 4 cases pour cette action. Si vous deviez mettre un pion dans une case déjà occupée par 4 autres pions, vous devrez alors le déposer dans la prochaine case disponible. C’est très utile en début de partie, quand toutes les cases sont remplies de pions.

Le grappin (« Traque »)

Le grappin vous permet de déplacer un jeton de votre choix afin qu’il rejoigne la case occupée par le prochain personnage qui se trouve devant lui. Comme il y a toujours 16 coureurs en piste, cela ne permet pas toujours de franchir de grandes étendues, mais c’est très appréciable pour les retardataires. On peut sans vergogne « traquer » des jetons qui ont déjà franchi l’arrivée, pour la rallier plus rapidement.

La goutte d’eau (« Baignade »).

C’est le seul moyen de se sortir de l’eau. Tout personnage plongé dans un lac doit obtenir ce résultat pour en sortir : son pion est alors placé à la case suivante. Mais la goutte d’eau peut aussi être utilisée pour aller directement plonger dans le prochain lac du parcours, plouf ! On se mouille, mais on franchit souvent une grande distance…

Les actions de mayssanceté vile et gratuite (et jubilatoire)

La potion magique (« Endormir/Réveiller »)

Elle permet d’endormir le jeton de son choix en le retournant sur sa face « dodo ». Un jeton endormi ne peut se déplacer d’aucune manière, et devra attendre d’être réveillé par une autre potion magique. Idéal pour stopper net l’élan de quelqu’un qui serait beaucoup trop près de la ligne d’arrivée… ou pour rajouter de la difficulté à l’infortuné barboteur qui essayerait de sortir d’un lac.

Le vol de cash (« 2 points de victoire »)

Chaque joueur démarre la partie avec des pièces qui représentent chacune 2 points de victoire. Cette action consiste à voler une pièce à l’adversaire de son choix. Cette action est injustement boudée au cours des premières parties. Mais vous en verrez très vite l’utilité en fin de partie, lors du décompte des points. 

La copie conforme

Cette action permet de dupliquer l’une des autres actions obtenues au dé pendant votre tour.  Bref, de pouvoir faire deux fois la même chose, ce qui peut parfois être très pratique en cours de partie. En revanche, la limite de deux actions reste active, vous ne pourrez pas utiliser cette action pour dupliquer quelque chose que vous avez déjà fait deux fois.

Optimisation et fourberie

En dépit du nombre d’actions possibles, le jeu est simple, fluide et rapide. Chaque joueur doit optimiser ses deux lancers pour obtenir le meilleur résultat possible. Il peut ensuite mener ses actions dans l’ordre de son choix, et agir sur les pions qu’il souhaite, qu’il s’agisse des siens ou ceux de ses adversaires.

Si certaines actions sont évidentes, d’autres sont beaucoup plus retorses. La victoire se jouant en effet aux points de victoire, il est tout à fait possible de subitement encourager un adversaire à s’approcher de la ligne d’arrivée, déployer ensuite un grappin pour le rejoindre et enchaîner avec une botte pour franchir la ligne comme un goujat.

Il est également possible de privilégier un adversaire moins fortuné que les autres afin qu’il monte sur le podium. Les autres adversaires plus fortunés ne pourront alors obtenir autant de points qu’ils ne le souhaitaient.

Il faut rester grouper !

Le vainqueur est donc celui qui a le plus de points de victoire à la fin, et si gagner la première place rapporte 13 points, la seconde et la troisième en rapportent tout de même 12 et 11. Il vaut donc mieux jouer la carte de l’arrivée groupée que celle de la victoire en solo : ce sera bien nettement plus payant.

Que les personnages qui n’ont pas atteint l’arrivée se rassurent, ils marquent tout de même des points en fonction de leur position finale sur le circuit. Encore une fois, pensez à déplacer tout le monde !

Canon fodder

On comprend naturellement à la lecture de ce qui précède qu’il vaut mieux être quatre joueurs pour jouer à Kingdom Run. A moins de joueurs, surtout à deux, les peuples non représentés font essentiellement de la figuration sur le plateau. Ils servent volontiers pour aider à franchir une rivière ou bloquer un adversaire, mais leur utilisation reste rare.

C’est dommage, car ils ont pourtant un véritable intérêt : ils peuvent être utilisés pour truster les points intermédiaires qui vous séparent des autres joueurs. Il est donc assez utile de les faire voyager en votre compagnie plutôt que de les laisser tristement au point de départ, ce qui est souvent le cas lors de vos premières parties.

Mais d’une façon générale, essayez d’être quatre joueurs : le jeu est clairement conçu avec ce nombre en tête. 

Kingdom Run et les marmots ?

Si les adultes trouvent immédiatement leurs marques sur Kingdom Run, un temps d’adaptation est nécessaire pour les marmots. Il y a en effet plusieurs points, outre les modes de déplacement, qu’il leur faut assimiler.

Le premier, c’est cette possibilité donnée de déplacer n’importe quel pion du jeu. Il n’est déjà pas simple pour des enfants de se dire que leur équipe se compose de 4 pions, mais si en plus tout le monde peut prendre n’importe quels pions pour les faire avancer, c’est un peu confusionnant sur les premières parties.

Le second, c’est que les vacheries pleuvent. Il faudra donc que votre marmot puisse encaisser de se prendre des coups sans trop râler, et accepter de se faire voler une victoire promise à cause d’une potion magique bien placée. Si vos enfants sont sujets aux grosses crises de nerfs parce que la situation leur échappe soudain au tout dernier tour, Kingdom Run devra être joué avec beaucoup de diplomatie.

Enfin, et surtout, Kingdom Run est un jeu qui se joue aux points, et non à la ligne d’arrivée. Si on regarde bien le classement d’arrivée, la première place ne rapporte au final qu’un point de plus que la seconde place, et elle même qu’un point de plus que la troisième. Jouer la première place, si elle est honorifique, ne vous garantit donc absolument pas la victoire, loin de là. Il faut essayer, autant que possible, d’arriver groupés. Et de penser à chaparder quelques pièces d’or au passage. Il y a en effet 24 points de victoire partagés entre les joueurs, ce qui fera souvent la différence.

Les marmots, souvent obnubilés par leur désir de remporter la course, perdront très souvent sur la valeur globale de leurs points. Libre à vous de modifier la règle, évidemment.

L’impardonnable oubli d’Ankama !

Derrière ce titre abusivement provocateur se dissimule en fait une incompréhension de notre part. Pourquoi ne pas avoir ajouté une règle, optionnelle évidemment, donnant des caractéristiques différentes à chaque peuple ?

Vous allez me dire : « pour garantir une équité entre les joueurs ». Je répondrai ok, mais c’est quand même passer à côté d’une belle opportunité de gameplay, surtout que l’on peut faire un truc simple et sympa qui rend les parties plus marrantes.

Alors nous, hop, on se lance.

La variante Plateau Marmots : Pouvoir au peuple !

Chaque peuple dispose désormais d’un pouvoir, utilisable trois fois par partie. Chaque pouvoir n’est déclenchable qu’une fois par tour.

L’utilisation de ce pouvoir permet à chaque peuple de modifier le résultat d’un dé, après le second lancer. La règle de la limite des deux actions est toujours active, sauf si l’on active le pouvoir de fourberie ultime (voir plus bas).

  • Les sorcières, professionnelles de la magie, peuvent activer ce pouvoir pour modifier le résultat d’un dé en : potion magique.
  • Les chevaliers, habitués à charger l’ennemi, peuvent activer ce pouvoir pour modifier le résultat d’un dé en : bottes.
  • Les gobelins, habitués à la traîtrise, peuvent activer ce pouvoir pour modifier le résultat d’un dé en : grappin.
  • Les animaux, habitués à la vie en extérieur, peuvent activer ce pouvoir pour modifier le résultat d’un dé en : goutte d’eau.

Il est possible d’activer ce pouvoir spécial en mode « fourberie ultime ». La limite de 2 actions identiques jouables par tour passe à 3… mais il faudra alors vous défausser d’une de vos pièces (qui est remise dans la boîte).

Chaque joueur va donc pouvoir adapter son style de jeu au peuple qu’il a choisi d’incarner pour la partie. Cela tourne très bien, et les joueurs apprécient vraiment que leurs pions n’aient pas le même pouvoir que ceux des adversaires.

L’avis de Plateau Marmots

Kingdom Run ne paye pas de mine dans sa mini-boîte, mais c’est un jeu captivant qui saura vous triturer les méninges de longues heures durant. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un marathon, et non d’un sprint. Kingdom Run est, dans les faits, un jeu de placement stratégique déguisé en course fantasy déjantée. Et si le fun est bien présent, le joueur victorieux sera bien souvent celui qui aura su optimiser le résultat obtenu aux dés pour gérer son équipe de manière homogène. Savoir avancer en groupe pour truster les places d’honneur, sans trop attirer l’attention sur soi, est bien souvent un gage de réussite. Il suffit que vous ayez réussi à chourer une ou deux pièces d’or par-ci par-là, sans méchanceté évidemment, pour battre aux points des adversaires encore enivrés par leur présence sur un podium… qui se révèlera être bien illusoire.

Kingdom Run est donc un jeu redoutablement tactique et intelligent, pour lequel la marge de progression est énorme. Il suffira de quelques défaites pour ne plus se laisser avoir par des erreurs classiques (sous-estimer la face de dé qui consiste à voler de l’argent aux autres, par exemple) et vous saurez mener votre équipe à la victoire.

Pour jouer avec des marmots, en revanche, il faudra bien tâter le terrain et leur rappeler les principes du jeu en cours de partie : tactique, placement et fourberie, pour faire passer la pilule de quelques crasses qu’ils digèrent plus ou moins bien. On pratiquera le jeu à petite dose, au début, pour s’assurer qu’ils aient le niveau de second degré nécessaire à ce genre de pratique. Car oui, ce n’est pas parce que vous les poussez dans le lac (pour mieux les y endormir ensuite) que vous ne les aimez pas, c’est évident.

Mais une fois ces quelques précautions prises (et pourquoi pas en essayant notre variante), c’est un jeu qui ressortira souvent, tant l’intensité de ses parties courtes (15 minutes) donne envie de se relancer dans la course.

On aime

  • Joli
  • Tactique
  • Sournois
  • Les modes de déplacements
  • Les attaques vachardes
  • La gestion des points de victoire

On aime moins

  • Des stickers à coller
  • Les marmots ont parfois un peu de mal avec les rudesses de la course
  • Des peuples sans pouvoirs propres

Fiche technique

Un jeu d’Éric Claverie
Illustré par Jiahui Eva Gao
Edité par Ankama.
Jouable à partir de 7 ans (mais avec pas mal de pédagogie)
Pour 2 à 4 joueurs (mais c’est bien meilleur à 4)

Dispo chez Philibert

1 thoughts on “Test – Kingdom Run

  • 31 octobre 2018 à 3 h 16 min
    Permalink

    Bonjour, merci pour cet article et cette analyse très détaillée de mon petit jeu. On sent que vous l’avez bien pratiqué, et du coup, en connaissez toutes les astuces pour augmenter les chances de victoire. C’est clairement la diplomatie, se faire oublier, ne pas se faire d’ennemi en particulier, et ne pas être trop en avance de façon trop visible qui seront souvent payants. Effectivement ne pas oublier que ce n’est qu’un jeu, et qu’une fois le défouloir rangé dans sa boite, on reste les meilleurs amis du monde 😉
    Les pouvoirs des personnages existaient déjà sous forme de variante dans mon prototype. Mais cela n’a pas été conservé par l’éditeur, la voici :
    • Chaque peuple à un pouvoir qu’il peut utiliser une fois par tour en remplaçant un dé “=”. (Ceci ne remet pas en cause l’interdiction de plus de 2 fois la même action).
    • Sorcière : Réveiller (et non endormir) un coureur. • Peuple des Forêts : Voler une pièce. • Gobelin : Sortir d’un lac (non y aller). • Chevalier : Utiliser un grappin.
    les pouvoirs sont très équilibrés de cette façon. Mais libre à vous de faire les variantes que vous souhaitez bien-sûr ! Bien à vous et merci encore. 😀

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