Test – Turtle Bay

Alors que le soleil se couche doucement et inonde la baie d’une paisible lumière orangée, le sable de la plage commence à bouger. Au bout de quelques secondes, une patte, puis deux, émergent du sable. Et là, juste à côté : le sable bouge aussi ! Une petite tortue vient de s’extraire de sa coquille. Non, deux ! Attendez, trois ! Et le sable bouge encore ! Les petites tortues viennent de naître et se dirigent, un peu chancelantes, vers la mer. Mais elles ne marchent pas encore très bien et ont tendance à se retrouver sur le dos. Quel joueur saura amener le plus de tortues jusqu’aux flots ?

Turtle Bay est un jeu de Wolfgang Riedl, illustré par le studio Fiore GmbH. Il réunit de 2 à 4 joueurs, à partir de 6 ans, et est édité par Piatnik.

[Cet exemplaire du jeu nous a été fourni par l’éditeur.]

Une plage, des tortues

Dans Turtle Bay, le but du jeu est d’amener les tortues de son équipe jusqu’à la mer. Et comme les tortues sont joueuses, elles n’hésiteront pas à bousculer un peu leurs voisines de course. Soit pour les mettre sur le dos, soit pour les remettre sur leurs pattes (ce qui est quand même un peu plus sympa).

A l’ouverture de la boîte, n’importe quelle personne pourvue de rétines ne manquera pas de dire « ouuah, les tortues sont trop jolies ! », parce que dans les faits, figurez-vous que les tortues sont trop jolies. Il y en a 20, réparties en 4 couleurs, et c’est vrai qu’elles donnent immédiatement envie de jouer. Le reste du matériel est simple et efficace, à commencer par un plateau de jeu qui représente une plage, découpée en cases.  Le point de départ est le lieu d’éclosion des œufs de tortue. Le point d’arrivée, vous l’aurez compris, c’est la mer. Outre le plateau et les bestioles, on trouve également 3 dés et un petit marqueur. Ce dernier semble totalement inutile en début de partie, et rigoureusement indispensable dans les derniers tours. Vous allez vite comprendre pourquoi.

“Allez, viendez ma bande !”

Chaque joueur débute la partie en plaçant l’une de ses tortues sur le point de départ. La tortue sort tout juste de son œuf et l’instinct la dirige vers la mer. Lancez un dé, et déplacez votre tortue du nombre correspondant de cases. C’est ensuite au tour du joueur suivant.

Alors d’accord, là vous vous dites que ce n’est pas super palpitant, mais attendez la suite, promis.

Le second joueur lance lui-aussi un dé et déplace sa première tortue. Si son score est supérieur à celui du premier joueur, sa tortue va – logiquement – dépasser la première. Eh bien, dans ce cas, hop, la tortue dépassée est retournée sur le dos. Mais ne vous inquiétez pas trop, car la prochaine tortue qui viendra la dépasser la remettra sur ses pattes. A chaque tour de jeu, donc, des tortues dépassées vont se retrouver bloquées ou débloquées, par n’importe quelle tortue qui les dépasse, qu’elles soient d’une équipe adverse ou non.

Et là, tranquillement, vous sentez le grand jeu fourbe avec des revirements permanents façon Othello. Car toute tortue qui se déplace retourne chaque tortue qu’elle dépasse, ce qui ouvre de fait de savoureuses possibilités tactiques lorsque vous avez une quinzaine, voire une vingtaine de tortues sur le sable en même temps.

Au début de son tour, en effet, le joueur a le choix : déplacer une tortue déjà sur le sable, ou en remettre immédiatement une autre en jeu. Les tortues ayant tendance à se pourrir/protéger les unes les autres, l’ordre dans lequel vous allez les jouer déterminera immanquablement votre succès flamboyant ou votre échec lamentable.

Vous allez me dire que c’est pas très juste parce qu’avec deux ou trois tortues sur le dos, vos possibilités de déplacement sont bien réduites. Mais le jeu a prévu ce cas de figure et vous offre une compensation. Vous pourrez en effet lancer 2 dés (et prendre le meilleur résultat) si vous avez 2 tortues sur le dos, et 3 dés si vous en avez davantage. A vous de gérer ensuite votre progression : soit en cherchant à faire avancer vos tortues de manière éparpillée, soit groupées, pour qu’elles puissent se retourner les unes les autres pour assurer un mouvement constant. Mais prenez garde aux adversaires, qui viendront évidemment perturber votre progression.

La partie prend fin dans deux situations :

  • Lorsqu’un joueur arrive à placer toutes ses tortues en mer.
  • Lorsqu’un joueur est dans l’incapacité de jouer son tour (on en parle plus bas)

Notez que, dans le cadre d’un jeu avec les enfants, les règles conseillent de réduire le nombre obligatoire de tortues qui atteignent la mer pour gagner. Par exemple, le premier joueur avec 3 tortues dans l’eau l’emporte.

Le spectre de la tortue coincée

En tant que joueur, vous voudrez forcément éviter deux écueils ; le premier étant le syndrome de la dernière tortue. C’est quelque chose auquel on ne réfléchit pas spontanément mais qui devient très présent après quelques tours de jeu : si votre dernière tortue est en avant dernière position, nul doute qu’elle sera retournée par la dernière tortue, et bloquée sur la plage pour toujours. Il faudra donc faire attention en fin de partie, quand il ne restera plus que trois ou quatre tortues à sortir des coquilles, à ne pas se laisser piéger. Il faudra soit partir assez vite (en laissant plusieurs adversaires derrière soi), soit en essayant de partir dernier (et en essayant de doubler uniquement des tortues qui sont sur leurs pattes, pour les éliminer du jeu).

Le second truc à éviter, c’est l’immobilisation globale, synonyme de fin de partie immédiate. Car il est toujours possible d’assister à un KO technique et de voir toutes ses tortues en vadrouille soudain retournées en même temps, sans plus aucune possibilité de bouger à notre tour de jeu. Dans ce cas, cela déclenche purement et simplement la fin de la partie immédiate, et le joueur qui a le plus de tortues en mer remporte immédiatement la partie. Si ça n’est pas vous, tant pis !

Cette situation de blocage peut, en fait, amener des situations amusantes. Lors d’une partie avec mon fils, il a rushé pour mettre une tortue en mer, puis l’un de mes déplacements a retourné l’ensemble de ses tortues restantes, qui étaient toutes en jeu. Résultat, il a gagné la partie (il était le seul à avoir une tortue à l’eau) dans une sorte de KO express qui nous a laissés tous les deux un peu surpris. Au moment de déplacer l’une de vos tortues, veillez donc à ne pas immobiliser totalement un adversaire si vous n’êtes pas en position de force dans les vagues.

Slow & furious

Turtle Bay impressionne par son tour de jeu outrageusement simple (on lance un dé, on bouge un pion) et la dimension tactique qui s’en dégage. Faut-il avancer une tortue en jeu ou en mettre une nouvelle ? Faut-il déplacer cette tortue qui va s’approcher de l’arrivée MAIS qui va débloquer un adversaire ? Chaque mouvement a de réelles conséquences sur vos chances de victoire, et il faut en permanence regarder la course comme un mouvement d’ensemble, où les pions les plus éloignés de l’arrivée ont finalement plus d’importance que ceux qui ont déjà presque les pattes dans l’eau. C’est un jeu très très malin, qui combote une mécanique fluide à une profondeur digne d’un jeu abstrait bien prise de tête. Car l’univers choupi n’est ici qu’un joyeux prétexte au retournage de pion afin de l’immobiliser et de le réactiver, ce qui est particulièrement retors et agréable à jouer.

Au passage : si l’on se demande en début de partie à quoi sert le petit pion qui sert à marquer la case de départ de la tortue, on comprend rapidement son utilité une fois qu’il y a une vingtaine de pions qui se baladent sur le plateau. Prenez l’habitude de le placer avant chaque mouvement, cela évitera bien des disputes inutiles, en mode « mais je te dis que je suis parti de cette case et que je dois retourner ta tortue ! ».

L’avis de Plateau Marmots (Olivier)

Turtle Bay est un petit jeu de déplacement malin et tactique qui m’a énormément impressionné. Limpide et rapide dans son déroulement, il incite à griller quelques neurones pour trouver le meilleur mouvement à jouer pour ses tortues en vadrouille. Bien sûr, il peut être joué « à la cool » et être appréhendé par des enfants bien plus jeunes qu’indiqué (ma fille de 4 ans s’y régale), mais la dimension tactique est bel et bien là pour les plus grands, dans une course pleine de tension et de retournements (haha) de situation. Pas de règles inutiles, pas d’effets de jeu superflus, on lance son dé, on avance, et on essaye de bloquer ses adversaires en débloquant ses propres troupes. On y retrouve quelques sensations d’Othello (pour les retournements en série) sur une mise en scène bien plus attractive pour un résultat qui pourra se lire à plusieurs niveaux. Une très jolie surprise, accessible, prenante, addictive, que je vous recommande vivement.

On aime

  • Un jeu de course tactique redoutablement malin
  • Franchement joli
  • Très accessible pour des parties simples…
  •  …avec une belle marge de progression pour gérer les tortues
  • Des règles adaptables en difficulté

On aime moins

  • Certaines fin de parties expéditives

Le trouver

Pour aller plus loin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.