Test – Boss Quest
Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était au Festival du jeu de Montpellier, peu de temps après Cannes. Il y avait une table avec des gens qui avaient l’air franchement sympathiques, avec l’accent du sud et l’œil qui pétille. J’avais tout de suite tilté sur le visuel d’un jeu, représentant un château et un chevalier armé d’une ventouse, quelque part entre Zelda et les Lapins Crétins. J’avais froncé les sourcils à l’évocation du sempiternel « chevalier-va-sauver-princesse », mais la team m’avait immédiatement mis à l’aise : « oui, enfin on pourra aussi être une guerrière et allez sauver un prince, hein ? Ou une guerrière qui va sauver une princesse. Ou un prince qui va sauver un prince. Tant qu’on va sauver quelqu’un, nous, ça nous va ! Et il n’est pas inutile que les jeux permettent aux enfants et à leurs parents de fracasser les clichés, non ? ». La team Débâcle ne le savait pas encore, mais c’était très exactement le propos que j’avais envie d’entendre, à l’heure où de nombreux éditeurs se sentent encore obligés de repeindre leurs boîtes en rose pour qu’on les repère de plus loin dans le « rayon filles » des supermarchés.
Bref. Je me suis assis à la table et j’ai joué.
Boss Quest est un jeu de Christophe Lauras, édité par Débâcle (dont c’est le premier jeu). Le jeu est issu d’un financement participatif au printemps dernier. Le voici désormais, réel, fini, et c’est un pur plaisir de le déballer (et d’être cité dans la notice, ne boudons pas notre petite fierté).
Allons sauver la princesse le prince quelqu’un !
Le pitch de Boss Quest tient donc sur une feuille de papier à cigarette, et dans un premier temps, c’est surtout son habillage qui va faire le job. Ça tombe bien : les illustrations de Christina Weinman sont magnifiques et le travail d’édition de Débâcle est soigné.
La boîte contient tout le nécessaire pour vous plonger dans un univers fantasy qui mêle avec élégance humour décalé et grosses haches, pour une ambiance franchement réussie. Boss Quest fait le grand écart entre références jeu vidéo et humour potache, comme si votre dernière cartouche de Final Fantasy était brutalement mixée avec celle d’Earthworm Jim. Relativement imparable.
Le jeu contient des cartes, des personnages que l’on pourra incarner, des objets à utiliser, des jetons et surtout des Boss, véritables raisons d’être de ce jeu (ce qui semble indiquer qu’il a un titre plutôt bien choisi).
Car si on ne peut pas vraiment parler de quête, on va clairement devoir rouler sur des grands méchants et les enchaîner pour espérer gagner la partie. Ces derniers ont d’ailleurs le privilège d’avoir des cartes de grande taille et de réserver quelques jolies surprises, on y reviendra plus bas.
L’ouverture de la boîte s’accompagne donc d’un petit soupir de satisfaction tant l’ensemble est propre et soigné. C’est le premier jeu de la team Débâcle, mais c’est réalisé de main de maître : bravo.
Un armurier bien généreux !
Dans Boss Quest, les joueurs vont donc affronter des Boss successifs pour gagner des Clefs du donjon, qui seront avant tout des points de victoire.
Chaque Boss a un nombre de points de vie qui lui est propre, grosso modo de 14 à 21 points. Pour abattre le Boss, il faudra être celui qui lui cause plus de dégâts que les autres, sans pour autant dépasser son total de points de vie (car ça voudra dire que vous vous êtes fait un lumbago avec toutes les armes que vous portez).
Chaque joueur commence donc le combat avec deux cartes armes, qui lui sont données par l’Armurier. Chaque arme a une valeur différente, de la ventouse à cabinets (1) jusqu’à la bombe sur le point d’exploser (7).
La première arme est donnée face visible, l’autre face cachée. Le total de ces deux cartes indique la force d’attaque du joueur. Il peut alors retourner voir l’armurier et lui demander d’autre cartes (de 1 à 4) pour les ajouter à sa force d’attaque, mais il ne pourra pas en défausser s’il excède la valeur du boss. Chaque joueur procède de même, en tours successifs, de sorte que le premier joueur peut à nouveau demander des cartes s’il le désire.
Et là, je le sais, c’est le moment où vous me dites : « Euh STOP ».
La revanche de Jacques Le Noir
Stop, oui. Je sais, je sais. Vous me regardez avec vos gros sourcils suspicieux. Vous vous raclez la gorge, et vous vous demandez si je ne suis pas en train de vous refourguer un bon vieux jeu de Blackjack à l’ancienne, sous un habillage fantasy geek. Car les ressemblances sont quelque peu frappantes, je vous l’accorde.
Une valeur à ne pas dépasser, une carte face cachée et les autres face visible, la possibilité d’obtenir de nouvelles cartes ou de s’arrêter…
Alors pour couper court à vos supputations, je vais clarifier les choses : OUI, Boss Quest est bel et bien une revisite du Blackjack, dont on retrouve totalement l’esprit. Donc inutile de hurler à la trahison, c’est clairement assumé et revendiqué.
Et restez en ligne, car le twist qui arrive est particulièrement intéressant.
“Vous n’êtes pas le plus fort, Môssieur Élias ! Quand on confond un clafoutis et une part de clafoutis, on vient pas la ramener !”
Bon. Jusque-là, vous avez suivi : vous avez une valeur à ne pas dépasser et des armes qui une fois additionnée vous donnent une force d’attaque.
Mais une fois que vous êtes armé jusqu’aux dents, vous n’allez pas immédiatement vous fighter avec le Boss, non non non, vous allez d’abord voir le Ma-gi-cien.
Le Magicien, c’est une étape obligatoire qui donne tout son sel au jeu, car elle apporte de nombreuses variables dans la résolution des combats. Le Magicien entre en jeu avec autant de sorts que de joueurs +1. Et tous sont posés face visible, sauf 1.
Dès qu’un joueur s’estime satisfait de son armement, il peut donc choisir en premier quel sort il veut prendre. Ces sorts peuvent s’appliquer soit sur lui-même, soit sur un autre joueur, soit sur le boss. On notera aussi qu’un sort peut être simplement pris pour être défaussé sans appliquer son effet (et en empêchant du coup vos adversaires de s’en emparer).
Le but de sorts, c’est de foutre le bordel dans la résolution du combat final. Par exemple de modifier la valeur d’attaque d’un chevalier (ou d’un boss), de vous disqualifier si vous n’avez pas une arme d’une certaine couleur. Mais les sorts vous réservent des effets encore plus retors, par exemple celui de forcer un chevalier à échanger l’une de ses armes contre une de la pioche.
Bref, comme vous l’aurez compris : le Magicien redistribue les cartes en introduisant un GROS soupçon d’incertitude sur le total que vous aviez atteint jusque là. Vous étiez par exemple très fier d’arriver à matcher le 17 d’un boss avec le total de vos armes, et bim, un adversaire fait baisser le total du boss à 16. Vous avez donc l’air moins malin, car votre total excède celui du boss. Sauf si vous arrivez à rafler in extremis un sort baissant également votre total, ce qui serait quand même un gros coup de chance.
« Prends la clé, la clé ! »
Une fois les sorts joués, les chevaliers révèlent leur total final et le comparent avec celui du Boss. Celui qui s’en approche le plus gagne l’une des clés du donjon, sachant qu’il devra en accumuler 5 pour remporter la partie. Ce total pourra bien évidemment être aménagé en fonction du nombre de joueurs et de l’envie d’avoir des parties plus ou moins longues. Avec des marmots, par exemple, jouez déjà le coup en 4 ou 3 clés, avant de vous lancer dans des épopées plus costaudes.
À noter toutefois que si votre chevalier atteint très exactement la valeur du Boss, il gagne une clé supplémentaire, ce qui fait toujours plaisir. En revanche, ceux qui auront dépassé la valeur du boss perdent un coeur. En cas de perte de tous les coeurs, la partie s’arrête.
Une fois le Boss vaincu, et si le nombre de clefs nécessaire à l’ouverture du Donjon n’a pas été atteint, on repart au combat avec un nouveau Boss, et on repart sur une distribution de deux cartes.
Tension et éclats de rires
Boss Quest est un jeu à la résolution très incertaine et aux choix cornéliens. La bonne nouvelle, déjà, c’est que même si vous dépassez la valeur du Boss à cause d’un armement trop conséquent, il sera encore possible de rectifier le tir ensuite au moyen de sorts jouant en votre faveur. Ensuite, vous aurez à choisir entre stopper rapidement votre armement pour aller voir le Magicien en premier, ou au contraire vous résigner à prendre le sort qu’on voudra bien vous laisser, même s’il vous flingue a posteriori.
Et c’est là que la précision Rainmanienne du Blackjack quitte totalement l’univers de BossQuest, bien plus fouillis dans sa résolution. Autant l’avouer : votre victoire viendra parfois du pur coup de bol bien plus qu’à votre capacité à compter les cartes. Car on ne doit pas s’y tromper, les Sorts sont bel et bien la clé du jeu, et ce sont eux qui viendront vous sauver la mise ou vous trahir in extremis.
Alors oui, les joueurs les plus tatillons seront donc farouchement et épidermiquement opposés à cette vision du jeu, très éloignée de leurs certitudes mathématiques.
N’allez pas pour autant imaginer qu’il est impossible de tenir une stratégie en jeu ! On ne gagne pas par hasard à Boss Quest, loin de là. Mais il est clairement nécessaire de prendre le temps de regarder avec attention la liste des sorts disponibles pour le Boss avant même de demander sa première carte, histoire de savoir ce que l’on risque de se prendre dans la tronche plus tard et de l’anticiper autant que possible en amont.
Et en cela Boss Quest est excellent ! Oui vous perdrez parfois de manière violente (c’est un jeu de cartes, hein), mais ce sera rarement de manière totalement injuste. L’inconnue, la vraie, c’est que vous ne savez pas quel joueur va prendre tel ou tel sort, ni s’il va le jouer ou le défausser. À vous d’intégrer ces variables et d’adapter votre jeu en conséquence.
Et les marmots, alors ?
Jouer avec des enfants à Boss Quest, c’est jubilatoire ! Déjà cela leur permet de découvrir le principe du 21, même si beaucoup ici l’avaient abordé avec l’excellent (et pas si éloigné) Poule Mouillée. Pour vos premières parties avec des enfants (entre 7 et 9 ans), oubliez les sorts et jouez juste le jeu comme un Blackjack classique, afin de bien faire entrer le principe de la carte face cachée et des autres face visible. Une fois que chacun aura bien intégré ce principe, jouez au jeu dans son intégralité et délectez-vous des mille facéties que les sorts vont vous jouer au pire moment. La révélation finale de la carte cachée est toujours un grand moment de stress et de fous rires.
Extensions et Solo
Comme tout bon projet financé, Boss Quest embarque également un certain nombre de petits bonus, comme des extensions vous permettant de jouer avec des potions (aux valeurs très versatiles), avec des compagnons (ayant tous un pouvoir spécifique sur le jeu), mais aussi d’affronter deux Boss supplémentaires, créés pour le financement participatif, dont je vous laisse découvrir les redoutables pouvoirs.
Une Quête Solo est également au programme, dans laquelle vous devrez affronter des vagues de Boss et optimiser vos tirages pour survivre jusqu’au Boss Final. À titre très personnel, j’adore, mais il est clair qu’elle sera à réserver aux grands marmots car le challenge est assez relevé.
Quelques critiques, quand même ?
Évidemment ! La principale, en fait concerne l’iconographie de certaines cartes sorts, pas toujours super explicites au premier coup d’œil, mais comme une aide de jeu est dispo en plusieurs exemplaires, il est assez facile de s’y retrouver.
On jouera également assez vite avec les extensions, au moins avec celle des potions, pour apporter encore plus de variété aux sorts.
On aurait sans doute aussi apprécié que le jeu franchisse davantage encore la frontière de ses propres références et aille plus loin encore dans le délire vidéoludique, avec des Boss toujours plus emblématiques. Là, Boss Quest installe doucement son petit univers, mais ne lui donne pas encore assez de corps pour qu’on puisse y voir autre chose que des petits clins d’œil, là où il serait sans doute possible d’aller beaucoup plus loin. On voudrait plus de Boss, plus de sorts, plus de plus, tout simplement.
Mais, pour vous parler en toute franchise, il ne s’agit là que de chipotages sans importance, qu’il sera facile de gommer dans le cadre d’extensions, que l’on espère nombreuses. La plus grosse critique qui sera formulée (pas par nous, mais elle viendra), c’est qu’on reste tout de même sur la base d’un jeu très connu, et que les revisites, ça ne plait pas toujours.
L’avis de Plateau Marmots
Qu’on se le dise, BossQuest est une réussite. Bien sûr, des esprits chagrins n’y verront rapidement qu’un Blackjack revisité, un peu loufoque et bordélique. Et ils n’auront pas tort, d’un certain point de vue ! Mais quel bonheur dans ce cas que de jouer dans le loufoque et le bordélique ! Boss Quest a l’intelligence de déplacer l’essence du Blackjack (le tirage de cartes) vers la gestion d’effets secondaires à maîtriser tant bien que mal. Je parle bien évidemment des sortilèges, qui créent une incroyable dynamique sur ce jeu. Avoir une valeur haute n’est plus une garantie de victoire, puisque de multiples événements peuvent survenir et transformer les certitudes en déconvenues. Jeu d’apéro par excellence, Boss Quest se laisse donc jouer avec bonheur par des marmots impatients de tirer leur épingle du jeu et de découvrir leurs premières subtilités de bluff sur fond de baston Zelda-esque. Imparable et très réussi, Boss Quest saura séduire les amateurs de jeu de cartes accessible et nerveux, aux retournements de situation aussi fréquents que les éclats de rires. Oui, rien de moins.
On aime
- Nerveux et fun
- Une revisite astucieuse d’un grand classique
- L’humour
- L’incertitude de la révélation finale
- Beaucoup de tension
- Excellent pour apprendre la mécanique du risque aux marmots
- …et pour faire un peu de calcul mental, mine de rien !
On aime moins
- Une iconographie à améliorer
- A quand des pouvoirs pour les boss ?
Bonus : Extra Boss
On a testé un nouveau Boss de Boss Quest, qu’on a sobrement appelé « PlatoMarmaux ». Il s’agit d’un colosse de pierre, assez menaçant. Sa force est de Nombre de joueurs x 10. Mais sa particularité, c’est de perdre 1pts d’attaque par carte Armement jouée par l’ensemble des joueurs lors du décompte final. Les cartes d’armement de chaque joueur ne sont pas exposées, mais rassemblées en decks. À vous de vous souvenir combien de cartes ont été demandées par chaque joueur avant de jouer vos sorts 🙂
Le trouver
Fiche technique
- Un jeu de Christophe Lauras
- Illustré par Christina Weinman
- Edité par Débâcle Jeux
- Pour 2 à 5 joueurs
- A partir de 8 ans
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