Test – SMAK
Notre histoire commence à Cannes, à l’aube, sur une plage déserte. Enfin… Quand je parle d’aube, il devait être un peu avant neuf heures. Mais en période de festival, après une nuit passée à jouer et rédiger, tout ce qui se situe avant onze heures du matin peut être considéré comme l’aube.
Ce matin-là, donc, je suis sur la plage, en compagnie de mes confrères de la presse ludique, pour tester le nouveau jeu d’Alain Rivollet, SMAK. Il y a là Tric Trac, Ludovox et tous les autres, tous farouchement occupés à mâcher pensivement un croissant devant ce nouveau jeu de quilles venu tout droit d’Helvétie. Nos lecteurs les plus attentifs auront noté qu’Alain Rivollet, c’est Jolie Fleurette, Banquet Royal (qu’on avait adoré) ou Concept, donc pas forcément des jeux qu’on s’attendrait à jouer les pieds dans l’eau bleue de méditerranée. Et pourtant.
La presse ludique, un peu fébrile, se consulte. Va-t-il être possible pour SMAK (un jeu au doux nom de meuble Ikea) de se faire une place sur le sable et les pelouses alors que d’autres jeux quillesques sont déjà bien implantés sur nos terres de jeutireuuoujepointeuu ?
Pour le savoir, il conviendra donc de lire ce test…
SMAK est un jeu de quilles signé Alain Rivollet et édité par HelevtiQ. Il se joue de 2 à 6 joueurs, à partir de 6 ans.
Note : pour des raisons de temps pourri, j’ai utilisé les photos prises à Cannes et les photos officielles Helvetiq pour illustrer cet article. Il sera agrémenté d’autres photos dès que les pelouses du coin ne seront plus des marécages).
Une pelouse bien encombrée
Soyons clairs : depuis quelques années, les jeux de quilles ont la côte sous nos latitudes. Délaissant leurs terres natales vikinguierres, ils envahissent nos pelouses, nos plages, nos tapis de salon et, blasphème, nos terrains de pétanque. Mais quand les vikings débarquent avec des gros bouts de bois dans les mains, la moindre des choses, c’est de les écouter.
Les plus célèbres représentants du jeu de quilles façon saumon sauvage sont bien évidemment le Mölkky et le KUBB . Dans le cas du premier, édité par Tactic, il s’agit d’un jeu très réussi où il faut dégommer les quilles : soit individuellement pour gagner leur valeur, soit collectivement pour scorer le nombre de quilles tombées. Le KUBB, quant à lui, se joue face à face, dans un duel violent où il faut faire tomber les quilles de l’adversaire avant qu’ils ne shoote les vôtres. Les deux sont vraiment plaisants à jouer, et de prime abord on a du mal à voir où SMAK va réussir à créer un peu d’originalité dans ce monde de plus en plus encombré de quillenbois qui poussent volontiers sur nos pelouses…
Une mise en place Kubbesque, mais…
De fait, la mise en place de SMAK, si elle intrigue volontiers, évoque rapidement celle de KUBB. Il s’agit ici aussi d’un jeu où les équipes se font face, avec des quilles centrales et d’autres éparpillées sur le terrain.
Pour être plus précis, un terrain de SMAK doit faire environ 12 pas de long. Au centre, on empile 4 cubes en bois, qui formeront une quille centrale, appelée « drapeau ». Le drapeau est entouré par 4 tours, toutes espacées de 15 cm du drapeau. 8 autres tours sont placées sur le terrain de jeu en X : au total 6 quilles rectangulaires par camp. Comme cela ça a l’air compliqué, mais une illustration va vous simplifier la vie.
…un recto-verso qui fait toute la différence.
Ce qu’il faut retenir de la mise en place, et qui va tout de suite vous éclairer sur le jeu, c’est que chaque quille donne des indications différentes sur son recto et son verso. Chaque tour, en effet, a un côté rouge et un côté bleu. Chaque côté indique le nombre de points gagnés si la tour est renversée par un bâton. Mais, et c’est là qu’arrive le fun, les points sont différents pour les deux équipes.
Une quille « 1 » sur son côté bleu sera placée très proche des joueurs bleus. Elle est donc facile à atteindre, et ne rapportera pas grand-chose. Mais sur son verso, rouge donc, elle rapporte 5 points ! Eh oui, elle est la plus éloignée des joueurs rouges, donc normal qu’elle soit rémunératrice.
Et moi je vis ma vie à pile ou face
Vous allez me dire : « à quoi bon perdre un lancer pour dégommer une tour qui ne rapporte qu’un point, surtout si on se vautre et qu’on est ridicule ? ». Cette question est pertinente, je vous l’accorde. L’histoire Cannoise retiendra que j’avais bien plus de faciliter à flinguer le drapeau central que des quilles situées à quelques centimètres de moi. Mais pensez bien à la symétrie de la chose : si vous faites tomber une quille à 1 point, cela signifie aussi que vous empêchez votre adversaire de scorer 5 points sur cette même quille ! Et ça, c’est toujours plus intéressant.
Donc à chaque lancer, vous aurez à vous poser cette question sournoise : dois-je tenter de marquer ou empêcher mon adversaire de le faire ? C’est une sensation véritablement grisante.
Et ça n’est que le début de la folie.
« Joli tir… mais en fait on dirait que t’as quand même pas gagné »
Si vous êtes attentifs, vous aurez noté que j’ai évoqué la présence d’un drapeau central, composé de 4 cubes. Il incarne à lui seul la douce névrose qui accompagne les joueurs de SMAK tout au long de la partie.
Lorsque vient votre tour, vous avez le droit de lancer trois bâtons. Un de défense, et deux d’attaque. Le bâton de défense ne s’utilise que dans le but de toucher le drapeau central. Au début de votre tour, vous le lancez en premier et tentez de renverser les cubes. Si vous y parvenez sans toucher les quatre quilles a proximité, un événement miraculeux se produit : vous annulez les derniers points marqués par l’adversaire !
Oui, carrément.
En fait, quand un joueur parvient à renverser une quille, cette dernière n’est pas immédiatement comptabilisée. Elle reste renversée sur le terrain de jeu jusqu’au tir de défense de l’adversaire. Si ce dernier touche le drapeau, la quille est relevée et les points correspondants ne sont dont pas comptabilisés. Ouch, comme vous dites. Si, en revanche, le joueur manque le drapeau avec le bâton de défense, la quille est enlevée du jeu et comptabilisée : elle fait définitivement partie de son score.
Un drapeau qui disparaît…
Bref : chaque quille renversée peut potentiellement donc être relevée. Chaque coup exceptionnel, évidemment digne d’être filmé en super ralenti sur votre Galaxy S10, peut être annulé comme un claquement de doigt de Thanos, ce qui est toujours rigolo. Bon, pas pour celui qui a fait le geste de folie, évidemment. Mais pour ses adversaires, si.
Alors évidemment, je vous vois arriver avec vos gros sabots, en mode : « oui mais si on peut annuler les coups gagnants, la partie dure cent ans ! ».
Mais non les amis ! Faites confiance à Alain Rivollet pour avoir prévu le truc. Car comme vous vous en souvenez peut-être, le drapeau est composé de 4 cubes. A chaque fois que le drapeau est touché, on en enlève un, pour qu’il devienne de plus en plus difficile à atteindre. On en remettra au fur et à mesure de la partie, lorsque le drapeau est manqué. Il faut également noter que si l’on touche l’une des quatre tours disposées autour du drapeau avec le bâton de défense, le lancer est automatiquement invalidé. Vous allez marquer des points, donc, ne vous inquiétez pas.
En Suisse on lance droit, ou bien ?
Petit détail qui a son importance : les bâtons de SMAK se lancent droits, c’est-à-dire à la verticale, comme un relais de témoin. Inutile de feinter en tentant de « faire rouler », les bâtons sont très légers (bien plus qu’au Mölkky) et vous ne pourrez donc pas tenter un strike après une belle roulade.
Il est également interdit de lancer le bâton façon hélicoptère pour essayer de maximiser sa zone de terreur : on lance droit épicétou.
Cela peut sembler restrictif, mais vous découvrirez assez vite que pour sniper le drapeau au milieu des quatre tours, jouer la verticalité prend tout son sens. Eh oui, sont pas bêtes, les Helvètes !
Et avec des marmots, alors ?
Là, on touche à une question délicate : à partir de quel âge jouer à SMAK ? L’éditeur, Helvetiq, annonce que le jeu est jouable dès 6 ans. Honnêtement, je trouve que c’est un peu optimiste. Et je vais vous dire, ce n’est pas trop les règles qui vont faire la différence, c’est le concept même du jeu. Un enfant de 6-7 ans, quand il réussit un joli coup, n’a aucune envie de voir qu’un adversaire en face lui annule ses points d’un lancer bien placé. Cela fait partie du jeu, certes, mais il faut avoir un peu de recul pour cela. Pas toujours facile à cet âge… Je vous conseille donc de jouer avec des enfants de 7-8 ans et si possible en leur attribuant le rôle de défenseur, c’est-à-dire de celui qui va annuler le coup des autres. Ils tireront une jolie fierté de venir embêter les adultes dans leur course au score et trouveront ici un rôle naturel dans leurs premières parties, d’autant plus que leur cible sera toujours la même : le drapeau au centre. Libre à eux, ensuite, de prendre de l’assurance et de se risquer à jouer les attaquants. Ils vous donneront le rythme et auront alors assez de maîtrise du jeu pour savoir que le fait de se faire reprendre des points fait partie du charme du SMAK.
L’avis de Plateau Marmots
Bien plus profond et tactique que ses concurrents directs, SMAK a toutes les armes en main pour devenir une nouvelle référence du jeu de quilles, aussi bien sur pelouse que sur sable. Les sensations de jeu sont excellentes tant elles sont variées, et ce fameux moment où l’on hésitera entre chercher des gros points ou bloquer l’adversaire sera toujours intense et savoureux.
De part son action « rewind » (aussi géniale qu’agaçante quand ce sont les autres qui réussissent), le jeu se présente comme une guerre d’usure dans laquelle il faudra savoir gérer ses nerfs tout du long. Mais surtout, il risque fort de séduire les adeptes du jeu de société sur table, heureux de voir qu’un « twist » bienvenu vient renforcer la stratégie des parties. On sent la patte d’un auteur de jeux, avec des renversements de situation à la fois fréquents et spectaculaires.
Les marmots les plus jeunes, en revanche, risquent de hurler à la haute trahison si vous leur annulez un coup magistral de l’autre bout du terrain. Notre conseil : intégrez-les progressivement dans le jeu. Laissez-les défendre, au moins le temps des premières parties, pour qu’ils réalisent que cela fait clairement partie des règles que de venir bloquer les adversaires. Une fois qu’ils auront pris le pli, soyez, comme il se doit, sans la moindre pitié.
Au final, SMAK confirme totalement nos sensations Cannoises, et donne à notre petit carré de pelouse de faux airs de Croisette. La classe !
On aime
- Un matériel splendide
- De la stratégie en barre
- On s’éclate à renverser des quilles…
- …et à annuler les tirs précédents
- Bien plus stratégique que les autres jeux de quilles…
On aime moins
- …et forcément un peu moins accessible
- Un poil plus cher que le Mölkky
- Parfois frustrant pour les marmots