Test – Baïam (Kuala)

[MAJ 03-12-2018] Baïam a changé de nom et s’appelle désormais Kuala. Si vous trouvez des exemplaires de Kuala en boutique, il s’agit donc exactement du même jeu. 

Pour être honnête, j’ai été séduit par Baïam dès qu’on me l’a présenté, au Festival international des jeux de Cannes, en février dernier. Mais mon passif explique volontiers cela. Je suis tombé amoureux des Livres dont vous êtes le héros depuis que j’ai ouvert « La forêt de la Malédiction » en septembre 1984, ou Turlogh le Rôdeur en 1987, pour parler bandes dessinées. Défis fantastiques, Histoires à jouer, Livres jeux, j’ai joué à quasiment tout ce qui a pu sortir entre 1984 et 1995, j’ai trucidé des charrettes de gobelins, refait l’histoire, trouvé le meurtrier et sauvé le monde libre plusieurs centaines de fois. C’est vous dire si j’en ai bouffé, des paragraphes, des aventures, des enquêtes… et des fins peu glorieuses. 

Si les histoires dont vous êtes le héros ont progressivement perdu de leur flamboyance au virage des années 90- 2000, ils ont depuis périodiquement refait surface au gré de rééditions et de quelques nouveaux titres, signe que l’aventure en paragraphes attire toujours nostalgiques et nouveaux aventuriers.

Pour preuve, voici Baïam, une bande dessinée dont vous êtes les héros, pour 1 à 4 joueurs. C’est édité par Makaka et Blue Orange,  et c’est jouable dès qu’on sait lire de manière autonome, vers 7 ans.

Makaka ? Mékicé ?

Au début des années 2010, les éditions Makaka ont lancé plusieurs nouvelles séries de Bandes dessinées dont vous êtes le héros. Au gré de son humeur, le joueur solitaire peut visiter les univers des Chevaliers ou de Sherlock Holmes pour des aventures graphiques palpitantes.

Depuis leur création, les éditions Makaka ont en effet pour vocation de faire la part belle aux auteurs non publiés et aux idées nouvelles, afin de faire souffler un vent de portnawak dans l’édition graphique contemporaine, sur le fond comme sur la forme.

Pour Baïam, leur dernier né, Makaka s’est associé à l’éditeur de jeux Blue Orange afin d’aller encore plus loin dans l’expérience ludique et proposer un concept jusque-là inédit en bande dessinée : un jeu d’aventure coopératif.

Baïam, le jeu solitaire à plusieurs

De par sa nature, le livre d’aventure se joue en effet plutôt seul, à l’opposé du jeu de rôles qui se joue a minima à deux. Je sais qu’il existe des exceptions (Défis et Sortilèges…), mais elles sont rares, donc notables. Et comme vous l’aurez compris pour Baïam, l’aventure va bel et bien se vivre à plusieurs.

Sur la forme, pourtant, rien ne distingue vraiment Baïam de ses illustres aînés. Comme toujours, on lit une vignette, qui propose différents choix sous forme de numéro. On se rend alors sur la vignette correspondant à l’action que le joueur souhaite effectuer : aller à gauche, esquiver le piège, ouvrir le coffre, etc.  À chaque vignette, le joueur est confronté à un choix, et ainsi de suite jusqu’à résolution de l’aventure. Mais là où Baïam se montre résolument original, c’est qu’il s’agit d’une aventure collective, jouable à quatre joueurs simultanément.

Comment est-ce possible, allez-vous me demander ? Tout simplement en proposant quatre livres qui racontent la même histoire et qui proposent les mêmes chemins.

Enfin… Presque les mêmes chemins.

Chacun sa route, chacun son chemin…

Eh oui, presque, car tout l’intérêt du jeu coopératif est là : raconter la même histoire à quatre joueurs, qui vont tous la vivre de manière différente. Chaque joueur est donc équipé de son propre livre, qui raconte l’histoire de point de vue de son personnage. Et si la trame principale est identique, chaque joueur a accès à des passages secrets qu’il est le seul à pouvoir atteindre, ou des énigmes qu’il est le seul à pouvoir résoudre.

Il va donc falloir communiquer entre les aventuriers avant de décider collectivement de chaque action, et tenter de négocier ferme lorsque le chemin va se diviser.

Dans le coffre aux trésors…

Sur la forme, Baïam est un jeu qui se compose de quatre livrets A5 au format souple de 96 pages, et d’une carte au trésor/règle du jeu A4. L’ensemble est fort mignon, même si on aurait bien évidemment préféré des albums « grand format » pour profiter davantage encore des illustrations (fort jolies). La taille compacte des livrets permet en revanche de les rendre simples à transporter. Baïam est volontiers un jeu tout terrain que l’on pourra pratiquer en extérieur, sous la tente ou sur une table de camping. Les plus acharnés n’hésiteront pas à se rendre sur une île déserte afin de se mettre dans l’ambiance. Car il sera en effet question de pirates et de chasse au trésor…

Alors, choisissez votre personnage, et hissons les voiles !

Des personnages complémentaires

Les quatre héros de Baïam sont quatre jeunes pirates, chargés de remplacer leur père malade au pied levé dans une mission de collecte de trésors. Chaque héros dispose d’un pouvoir spécifique qui lui permet de se distinguer de ses frères et sœurs. On retrouve certains grands classiques du jeu d’aventures, avec le bourrin, le super agile et l’experte en énigmes, mais aussi des choses plus exotiques, avec un personnage qui peut taper la discute avec les animaux croisés en chemin.

La spécificité de chaque personnage se traduit en jeu par l’apparition d’options que les autres n’ont pas sur une image commune. La première vignette du jeu, par exemple, montre une pièce de la maison des héros, avec le père malade, dans un lit. Pour deux personnages, la seule possibilité d’action est d’aller parler au père. Mais pour deux autres s’ajoute une option supplémentaire : aller parler au chat pour Sarah, ou escalader l’étagère en ninja pour chourer des cookies avec Neta.

Des vignettes à passer à la loupe

Évidemment, cet exemple est anecdotique. Mais en cours de jeu, il faudra scruter attentivement chaque vignette pour vérifier qu’un passage secret (symbolisé sous la forme d’un numéro de paragraphe à consulter) n’est pas accessible à votre personnage. Ces numéros sont parfois reproduits de manière très stylisée pour se fondre dans le décor et ne sautent pas du tout aux yeux (et surtout pas à ceux d’un quarantenaire fatigué). Une fissure sur un mur, sans intérêt pour la plupart des personnages, cache peut-être un numéro pour le bourrin, qui pourrait alors la fracasser.

Il est donc conseillé d’avancer tranquillement, posément. Outre son personnage, l’un des joueurs se fend du rôle de narrateur en lisant les textes à voix haute, pendant que chacun scrute attentivement son livret. Une fois toutes les options dénichées, on en débat alors avec le reste du groupe, pour valider ou non les déplacements de chacun. Il y aura toujours des dissensions entre « on va à gauche ou à droite », mais il faudra savoir trancher (un chef est désigné en début de partie) car le groupe doit rester soudé quoiqu’il arrive. Une fois la décision prise, le groupe se rend ensemble au paragraphe indiqué, sauf s’il ne concerne qu’un seul personnage, auquel cas le groupe devra attendre son retour, ou le déblocage d’une nouvelle zone pour l’ensemble des joueurs.

Ça se discute

Une autre source de discussion vient des nombreuses énigmes qui parsèment le jeu. Il faudra souvent que chacun se creuse les neurones pour trouver le code à activer afin d’ouvrir la salle secrète qui tue, et c’est bien souvent du brainstorming que surgira l’étincelle susceptible de mettre le feu au lac.

Cette phase de dialogue et de négociation est très réussie et fait vraiment le sel de Baïam. Plusieurs actions simultanées étant possibles, il faudra souvent évaluer les risques et les bénéfices à retirer de chaque tentative. Il y a bien évidemment des pièges, et ce n’est pas parce qu’un personnage PEUT faire quelque chose qu’il DOIT nécessairement s’y risquer.

Bref, on discute beaucoup dans Baïam et on y retrouve donc une atmosphère très proche des jeux de rôles. C’est très intéressant à jouer et à vivre, surtout avec un minimum de roleplay de la part des joueurs.

Diamonds are a pirate’s best friends

Le but de Baïam consiste à emmener nos aventuriers se promener sur des îles tropicales pour mieux aller en piller les joyaux. Mais attention, pour tout ce qui concerne les objets amassés en chemin, n’attendez pas que le jeu vous propose de le faire. Si vous voyez un objet qui vous semble intéressant dessiné sur la vignette, déclarez que vous le prenez, tout simplement (chaque personnage peut en porter deux).

Il en va de même pour les trésors trouvés en route : perles et joyaux sont vos objectifs principaux. Il faudra scrupuleusement compter combien vous en avez attrapé au fil de l’aventure, et surtout ouvrir l’oeil. Beaucoup sont en effet cachés sous un bosquet ou dans un recoin de vignette. D’où l’importance, une fois encore, de ne laisser échapper aucun détail.

Rendez-vous au 13

Que les âmes sensibles se rassurent : on ne meurt pas dans Baïam, même en tombant d’un pont qui surplombe le vide. Le jeu est en revanche régulé par la notion de temps perdu. Les personnages n’ont en effet que 5 jours pour accomplir leur chasse au trésor, et certaines actions menées prennent plus de temps que d’autres. Vos mauvaises décisions seront ainsi sanctionnées par la perte d’une journée, ce qui réduira dramatiquement vos chances de succès.

Une fois que votre temps est écoulé, vous revenez automatiquement au bercail et faites alors le compte des trésors amassés dans le temps imparti. Ces trésors, ramenés à la taille du groupe, vous donneront un score final, que vous pourrez afficher fièrement dans votre hall of fame personnel. Score que vous pourrez chercher à battre autant de fois que possible, bien entendu.

Replay Value

Cette notion de score est à la fois une force et une faiblesse de Baïam. D’un côté on pourra regretter un certain manque de souffle épique : on cherchera en vain le pirate zombie qui veut asservir le monde et que l’on doit affronter dans un duel funeste. Mais d’un autre côté, cette chasse au score garantit une plus grande durée de vie au jeu, que l’on ressortira volontiers pour essayer de faire péter le score précédent. La durée de jeu étant très limitée, il faut en effet l’optimiser au maximum, ce qui suppose plusieurs essais pour rafler le maximum de pognon. Avec plusieurs îles à visiter, et pas mal de passages secrets, vous en avez pour un moment.

Après, comme pour tout jeu d’aventure de ce type, il est clair que vous finirez par en voir le bout, même en échangeant régulièrement les personnages. Mais vous avez largement le temps de vivre des choses réellement amusantes avant de ranger définitivement le livre sur vos étagères. Pas de souci sur la durée de vie, donc.

L’avis de Plateau Marmots

Baïam est une expérience de jeu incroyable, qui saura captiver vos marmots de longues heures durant. Loin de la vie solitaire d’un livre-jeu traditionnel, c’est une aventure collective qu’il faudra vivre à fond. Cela suppose bien évidemment de jouer à quatre joueurs, pour avoir la possibilité d’explorer toutes les possibilités du jeu et de s’investir dans son personnage et ses pouvoirs. Il est bien évidemment possible de jouer à moins de joueurs, voire en solo, mais on perd alors beaucoup du plaisir de l’effervescence qui accompagne les héros dans la chasse au trésor. Et si l’on peut regretter que l’aventure ne se résume au final qu’à une chasse au high score, on sera également forcé de reconnaître que c’était la meilleure solution pour garantir une durée de vie conséquente au jeu. Avec son système de jeu en sessions de durée limitée et ses nombreux mystères à résoudre, Baïam se joue et se rejoue donc volontiers.

Les personnages sont plutôt équilibrés, peut-être un peu trop classiques, mais amusants à jouer. On aimerait toutefois voir le genre en profiter pour fracasser certains stéréotypes et oser des choses un peu plus originales qu’un garçon bourrin et une fille amie des chatons. Mais c’est du chipotage, bien évidemment.

Si vous pouvez réunir 3 ou 4 marmots maîtrisant la lecture (et un tout petit peu de calculs simples), vous leur garantirez une fantastique virée sur les rivages de l’aventure. Et si vous pouvez les accompagner, l’aventure vous fera rajeunir de quelques années, a fortiori si vous laissez le rôle de chef à un autre. Vous retrouverez vos souvenirs de Livres dont vous êtes le héros et vos réflexes de rôliste. Que demander de mieux ? Baïam inaugure de nouvelles possibilités de jeux narratifs pour marmots, et mérite par conséquent toute votre attention. Nous sommes conquis et attendons évidemment la suite, que l’on rêve plus ambitieuse encore !

Ça fait plaisir

  • Le principe, imparable
  • Les graphismes, mignons et truffés de détails
  • Le nombre d’embranchements
  • La récolte d’objets à la volée
  • Les dialogues entre joueurs
  • Certains pièges et énigmes, qui demandent de cogiter un peu
  • Les sessions de jeu en temps limité
  • La durée de vie, dopée par le score

Ça fait moins plaisir

  • Des livrets un peu petits
  • « Juste » une chasse au score
  • À quand une fille grosbill et un garçon qui parle aux chatons ?
  • Les vieux (moi !) doivent chausser leurs lunettes

Fiche technique

Un jeu de Shuky
Illustré par Gorobei
Edité par Makaka et Blue Orange
Pour 1 à 4 joueurs
A partir de 7 ans
Dispo chez Philibert

One thought on “Test – Baïam (Kuala)

  • 14 mars 2021 à 19 h 04 min
    Permalink

    Bonjour,
    Merci pour votre critique.
    Le jeux est en effet excellent.
    Juste une remarque il est tout à fait jouable à partir de 4 ans si une adulte lit le texte pour l’enfant et laisse l’enfant faire les choix.

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