Test – Princess Jing

Au cœur de la Cité Interdite, les tentures chuchotent à chaque nouvelle brise du vent tiède qui caresse délicatement les pierres ancestrales. Cachée derrière l’un des vingt-cinq paravents fièrement dressés au milieu de la grande cour, la Princesse Jing retient son souffle. A l’autre bout de la place, le chef de la garde, celui qui fait battre son cœur en secret, vient de prendre son poste. Du coin de l’oeil, Jing s’assure que sa servante est bien en place, dissimulée elle aussi derrière un autre paravent. Si la princesse parvient à traverser la place sans se faire remarquer, elle pourra alors déclarer sa flamme au garde impérial. Mais le danger rôde… Un porteur de miroir patrouille de paravent en paravent, afin de débusquer ceux qui oseraient s’y dissimuler. Dans une ombre furtive, Jing s’élance et se dissimule immédiatement derrière un autre paravent. Puis un autre. Et encore un autre. Son coeur bat la chamade et menace de révéler sa position à tout moment. Un cri retentit derrière elle : Mei, sa servante, a été découverte… Jing se tapit davantage encore. Va-t-elle parvenir à ses fins ?

Princess Jing est un jeu édité par Matagot pour deux joueurs, signé de l’illustre Roberto Fraga (La danse des oeufs, Captain Sonar, Où va-t-il ?…) et illustré par Naïade (Seasons…). C’est un jeu de placement tactique qui utilise à plein vos capacités de bluff : à réserver donc aux marmots qui savent conserver un air parfaitement innocent après avoir vidé un pot de Nutella.  

« Princesse, princesse, tu es bien jolie »  

Dès que l’on ouvre la boîte, on est saisi par l’élégance de Princess Jing. Oui, c’est un jeu d’exception, et on le découvre dès les premières secondes. Il faudra en effet une bonne quinzaine de minutes pour assembler tous les éléments du jeu (en faisant attention, évidemment), mais la récompense est de taille une fois le labeur achevé. Car oui, oui, décidément oui : Princesse Jing est un jeu somptueux, qui colle d’emblée un effet waouh dès qu’il est présenté sur une table.

Pour être plus précis, le jeu est composé d’un plateau de jeu représentant la cour de la Cité Interdite, d’une poignée de pions pour représenter les personnages, de petits miroirs et de quelques cartes, mais surtout de 25 paravents en carton qui sont incroyablement réussis. Ils apportent au jeu un soupçon de poésie, voire une certaine délicatesse, qui contribue à l’atmosphère unique de Princess Jing. Les paravents sont posés sur des socles qui peuvent contenir un personnage placé devant ou derrière le paravent. Évidemment, on ne peut à aucun moment savoir si un personnage se trouve derrière le paravent ou non.

Vous allez encore dire que j’exagère et que j’en rajoute, mais je vous assure que le jeu illumine n’importe quelle table sur lequel il est posé. Les photos ne lui rendent d’ailleurs pas justice : de même qu’un bel échiquier, qu’un Décrocher la lune ou qu’une Tour du Dragon fièrement bâtie, Princesse Jing fait partie de ces jeux que l’on pourrait laisser sortis uniquement pour la déco.

Et puisque j’évoque le contenu de la boîte, un dernier coup de chapeau pour le thermoformage pratique et malin qui permet de ranger l’ensemble du contenu en toute sécurité. Il serait en effet dommage de se retrouver avec un petit miroir brisé.

Cache-Cache

Princess Jing propose deux modes de jeu. Le premier permet de démarrer en douceur et d’apprendre la mécanique des déplacements. Le second permet ensuite de corser la difficulté et d’allonger la durée des parties. Si vos marmots peuvent tout à fait jouer aux deux, ils préféreront souvent le premier, plus rapide et plus intuitif à jouer.

Pour le premier mode de jeu, chaque joueur contrôle une princesse, une servante et un porteur de miroir. Le but du jeu est de parvenir à faire passer sa princesse de l’autre côté du plateau de jeu, en face de son amoureux, sans qu’elle ne soit détectée par le porteur de miroir adverse. Ce dernier, en effet, révèle ce qui lui fait face et fait donc apparaître princesses et servantes en vadrouille, cachées derrière les paravents.

À son tour de jeu, le joueur échange les places de deux paravents adjacents, sans bien évidemment pouvoir les faire pivoter. Cela permet de faire progresser petit à petit ses personnages. Le souci, c’est qu’en déplaçant des paravents que l’on suppose « vides », on peut très bien faire progresser également les personnages adverses, sans en avoir conscience.

Le porteur de miroir sera donc votre unique moyen de voir ce qu’il se passe dans le jeu de l’adversaire, mais encore faut-il le placer judicieusement, car il pourra uniquement révéler ce que cache le paravent directement situé devant lui. À vous de le déplacer sur des axes stratégiques, là où vous supposez que le joueur adverse va déployer ses personnages.

“Capitaine, me tenir comme vous le faites n’est pas suffisant pour m’exciter »

On arrive ici à la subtilité géniale qui fait le cœur /de Princess Jing : la position de votre visage. Oui, le vôtre. Chaque miroir est en effet placé de telle sorte que si votre porteur de miroir révèle un personnage, il ne révèle que la partie basse de son corps. Mais figurez vous chers amis que la figurine de la princesse et de la servante sont identiques, à l’exception de leur tête. Cela signifie que vous ne pourrez donc pas l’identifier avec certitude sans vous pencher et regarder directement par le trou prévu à cet effet au dessus de chaque paravent.

Le drame, c’est qu’en vous penchant en avant pour identifier le personnage que vous avez découvert, vous révélez en même temps la position de votre porteur de miroir. Ehhhh oui ! Il va donc falloir regarder sans en avoir l’air, ou alors donner l’impression que vous regardez, alors qu’il n’y a rien à voir. Princesse Jing est un jeu de bluff avant tout, et vous allez devoir rester impassible au moment précis où vous réaliserez que votre adversaire emmène sans le savoir votre princesse vers une victoire probable. Cette subtilité fait tout le sel de Princesse Jing, qui est un jeu où vous allez devoir vous concentrer sur les réactions de l’adversaire avant même de regarder le plateau de jeu.

Évacuation d’urgence demandée

À tout moment, les joueurs ont la possibilité de rapatrier leur princesse ou leur porteur de miroir sur leur ligne de départ, en l’échangeant contre un paravent vide. Cela permet parfois de se sortir d’une sale situation, car une fois que vos pions sont repérés parmi les paravents anonymes, il deviendra simple pour l’adversaire de les déjouer.

Un joueur convaincu de la position de la princesse peut désigner un paravent suspect et lui ordonner de se dévoiler. S’il dissimule effectivement la princesse, celle-ci devra retourner sur sa ligne de départ et vous pourrez jouer un tour gratuit. Ce qui fait souvent toute la différence.

Si vous vous plantez, en revanche, c’est votre adversaire qui profitera du tour gratuit. A utiliser avec parcimonie, donc.

Les mystères de Pékin 2

Une fois que vous aurez pris vos marques avec ce mode initiatique (tout à suffisant toutefois pour s’amuser), vous pourrez passer au mode avancé. Ici ça ne rigole plus : outre la princesse et la servante, chaque camp aligne désormais deux porteurs de miroirs et deux animaux légendaires. Ces derniers serviront à identifier la case de victoire de la princesse, puisqu’il y a désormais 3 capitaines, donc 3 cases de victoire possibles.

Chaque joueur devra donc identifier le capitaine à laquelle sa princesse se destine au moyen de ses animaux-totems légendaires, ce qui implique donc une phase de repérage bien plus conséquente avant de passer en mode « chasse ». Ce mode n’est pas tellement plus complexe que le précédent, mais il rallonge la durée des parties en incluant un round « d’observation », et un “superpouvoir” qui n’est pas déplaisant sans être indispensable. Il sera donc à réserver aux plus grands marmots.  

Miroir mon beau miroir

Si Princess Jing a su nous convaincre aussi bien sur le fond que sur la forme, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas pour tous les marmots. S’il n’a rien de complexe et peut tout à fait être assimilé par un marmot de 7 – 8 ans, le jeu présente néanmoins la particularité de rendre la tricherie excessivement aisée.

Quoi de plus facile, en effet, que de promener innocemment son porteur de miroir sur le plateau de jeu en le déplaçant, et ainsi balayer la zone de l’adversaire ? Le jeu demande également, à plusieurs reprises, de fermer les yeux lorsque le joueur adverse replace sa princesse sur la ligne de départ. Si la plupart des marmots se plient volontiers à cette consigne, pour certains la tentation est trop grande et il est difficile d’affirmer que certains n’y verront pas là un avantage stratégique décisif. A vaincre sans péril… on triomphe quand même.

Bref, pour plusieurs manipulations, le jeu demande d’avoir une confiance totale en l’adversaire, ce qui n’est jamais totalement acquis, on est bien d’accord.  

En outre, la préparation du jeu sera confiée de préférence à un adulte délicat, car l’insertion des figurines en carton dans les socles des paravents n’est pas toujours aisée. Il serait dommage de plier le carton en « forçant », suite à une certaine impatience de jeu.

Pour résumer, il sera donc conseillé de jouer à Princess Jing entre marmots acquis à la cause du « beau jeu » plutôt qu’au syndrome « de la gagne », pour s’assurer de jolies parties, sans heurts.  

L’avis de Plateau marmots

Toute en charme, élégance et stratégie, cette Princesse Jing a donc bien des atouts pour attirer les regards. Les parties, souvent pleines de suspense, ne durent en général qu’une poignée de minutes et invitent donc à jouer au meilleur des 3 manches. Mais ne vous y trompez pas : bien plus qu’un jeu de placement ou de stratégie, c’est avant tout un jeu de bluff, dans lequel il faudra pouvoir lire ses adversaires pour tenter de repérer l’emplacement des pions ennemis.

À ce petit jeu, les marmots sont certes désavantagés, mais pas totalement sans ressource. En effet, s’ils ont plus de mal que les « grands » à dissimuler leurs émotions, leur petite taille leur permet souvent de ne pas avoir à baisser la tête pour identifier le visage du pion révélé par le miroir. Croyez-moi : c’est un plus non négligeable, dans un jeu où le moindre hochement de tête sera interprété comme une menace potentielle.

Au final, si la Princesse Jing ne sera évidemment pas la compagne des jeu des plus impatients (ou des plus bourrins), les marmots qui sont prêts à tenter l’expérience d’un jeu aussi prenant que subtil seront comblés. Roberto Fraga signe ici une merveilleuse porte d’entrée vers des parties de plus en plus tactiques, où le visage de l’adversaire (et ses regards en biais vers les paravents) fait intégralement partie du jeu. Mieux encore : plus on joue à ce jeu contre le même adversaire et plus les tactiques qui se révèlent peu à peu gagnent en efficacité. La courbe de progression est lente, mais particulièrement valorisante, surtout en mode avancé.  

Fort d’une réalisation de haute volée, et décliné en deux niveaux de difficulté, Princesse Jing est donc une incontestable réussite, qui parvient le tour de force de se montrer à la fois accessible, profond et raffiné. Bravo.

Ca fait plaisir

  • C’est vraiment, vraiment, vraiment beau
  • Un gameplay subtil et stratégique
  • Le bluff permanent
  • Deux modes de jeu
  • L’idée géniale de devoir se pencher pour identifier la princesse

Ca fait moins plaisir

  • Les tricheurs auront des opportunités

Fiche technique

Un jeu de Roberto Fraga
Edité par Matagot
Sorti en 2018
Pour 2 joueurs
A partir de 8 ans
Le trouver chez Philibert

Le petit mot de Krinie

Bien que je n’ai pas essayé avec un « petit » de moins de 12 ans, j’ai peur de m’y ennuyer contre un adversaire trop jeune, de voir ses regards, de déjouer son bluff trop facilement. Déjà contre certains adultes, c’est le cas. Donc ce jeu a cette particularité pour moi que je le réserverai plutôt pour des joueurs de ma force (donc mauvais) pour ne pas m’y ennuyer. 

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