Entretien Camille Chaussy
Il n’y a pas longtemps, sur Plateau Marmots, on vous faisait découvrir une sélection de jeux pour jouer avec des dinosaures. Comme pour chaque sélection, il y a eu des débats, des orties, des prises de becs, bref tout ce qu’on peut retrouver dans toutes les réunions d’équipe (enfin pour les orties j’ai un doute ?!). Pendant que les autres débattaient, moi je regardais le nom des illustrateur.e.s sur les boîtes en me demandant qui j’allais bien pouvoir vous faire découvrir lors d’un prochain entretien. Et là je me suis rappelé de la petite fessée que j’avais mis à Mathieu à Jurassick Snack le matin au p’tit déj. Si vous l’aviez vu, il pleurait à chaudes larmes c’était trop choupinou à voir. Bref, je m’égare un peu là. Je suis donc sortie de la réunion prétextant un rendez-vous Jurassien. Personne n’a rien compris mais c’est passé, j’ai pris mon téléphone et j’ai contacté Camille Chaussy. Camille a illustré (entre autres) une grande majorité des jeux de l’éditeur The Flying Games, vous savez, notamment cette collection de jeux à 2 avec des petites figurines et le superbe L’Ile de Pan de Lumberjacks Studio. Allez je vous emmène sur mon diplodocus à la rencontre de la très sympathique Camille.
Plateau Marmots : Camille bonjour, merci du temps que vous nous accordez. Je vous laisse vous présenter en quelques lignes?
Camille Chaussy : Bonjour, je m’appelle Camille Chaussy, illustratrice freelance depuis 5 ans. Je me suis spécialisée dans le domaine du jeu de société et je développe également une collection en carterie et papeterie aux Editions des Correspondances.
Plateau Marmots : Comment êtes vous devenu illustratrice? Qu’est-ce qui vous a donné cette envie?
Camille Chaussy : Je suis à la base passionnée de BD, c’est l’un des premiers médias qui m’a donné envie de faire ce métier. Et c’est ce qui m’a poussée à faire une école d’art appliqué pour me lancer dans l’aventure.
Plateau Marmots : La BD à l’air d’être le média qui a inspiré de nombreux illustrateurs. Et plus précisément comment êtes-vous devenue illustratrice de jeux?
Camille Chaussy : Je suis par ailleurs joueuse, et c’est en découvrant entre autres le travail de Naïade, Biboun, Ani, Paul Mafayon ou encore Xavier Collette… que j’ai eu envie de faire ce métier et de me spécialiser dans le jeu.
Plateau Marmots :Des noms plutôt connus dans le milieu du jeu de société. Chouette inspiration ! Qu’est-ce qui vous inspire quand vous créez un personnage, hormis le thème ?
Camille Chaussy : Beaucoup de choses peuvent m’inspirer pour créer un personnage. Ce sont déjà des références d’œuvres existantes qui peuvent être une grande source d’inspiration, les designs de certains personnages de films d’animation ou tout simplement les attitudes, expressions ou morphologies de personnes que l’on peut croiser dans la vie de tous les jours.
Plateau Marmots : Si vous vous êtes reconnu dans un des personnages de jeux illustrés par Camille, c’est qu’elle a peut-être un jour croisé votre chemin. Avez-vous un univers de prédilection ? Si oui, lequel ?
Camille Chaussy : Mon univers de prédilection est celui de l’animalier ou des créatures.
PM : Vous êtes plutôt bien tombée avec la gamme de jeux The Flying Games. Quel est le jeu que vous auriez aimé illustrer?
Camille : Il y en a beaucoup dont l’univers est réellement inspirant, ce n’est pas une question facile ! Illustrer un Dixit me fait vraiment rêver. J’aimerais beaucoup pouvoir développer un style plus onirique (dans la même lignée que mon travail sur L’Ile de Pan).
PM : J’ai l’impression que Dixit inspire. Tous les illustrateurs que l’on a rencontrés ici nous en ont parlé. Faut dire que le graphisme de ce jeu est exceptionnel. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à y jeter un œil. Avez -ous des projets ludiques en cours ?
Camille : Oui, j’ai des projets en cours et à venir avec The Flying Games, Tiki Edition avec Super Meeple et Auzou ! Et un projet plus personnel qui est en cours de maturation depuis plusieurs années.
PM : J’ai tenté mais je n’en ai pas appris plus… Quelles sont pour vous les spécificités des illustrations du jeu pour enfant ?
Camille: Souvent pour les enfants, je recherche des designs assez mignons, ronds et doux. Il y a aussi le choix des couleurs qui est assez important, plutôt chatoyantes et fraîches.
PM: On est d’accord qu’un jeu enfant trop sombre peut rebuter. Est ce que vous changez spontanément de style suivant l’âge minimum des jeux qu’on vous demande d’illustrer, ou vous faites plusieurs propositions à l’éditeur et le laissez choisir ?
Camille: Je change spontanément de style suivant l’âge du public cible. Mais il est possible pour une même tranche d’âge d’avoir un traitement graphique différent. J’aime explorer différentes pistes graphiques, c’est très enrichissant. Sortir de sa zone de confort me fait découvrir et apprendre beaucoup de choses !
PM: J’imagine que quand vous vous lancez dans une nouvelle illustration vous recommencez plusieurs fois. A quel moment on se dit “Ok ce dessin il est parfait pour l’illustration qu’on me demande, je l’envoie”?
Camille: C’est la grande question, c’est à partir du moment où je trouve que l’image fonctionne bien. Je n’ai, cela dit, jamais trouvé une de mes images « parfaites ». Simplement, parfois le mieux est l’ennemi du bien ! Il faut savoir s’arrêter au bon moment et garder une image parfois plus spontanée et efficace que de rajouter des détails un peu partout. Trop d’informations peut parfois desservir l’image et perdre le regard du « spectateur » et donc son impact.
PM: “Le mieux et l’ennemi du bien”, je suis une grande fan de cette expression. Est ce qu’il y a des thèmes que vous vous interdiriez d’adopter ?
Camille: A priori non, cependant je refuserai de travailler sur des images qui appuieraient des idées en complète contradiction avec mes valeurs.
PM: Avez-vous déjà été contactée par un éditeur pour un jeu ou est-ce que c’est vous qui démarchez les éditeurs ?
Camille: J’ai commencé par beaucoup démarcher lors de mes débuts dans le milieu, mais aujourd’hui j’ai la chance d’être contactée par les éditeurs.
PM: Pour finir, petite question spéciale 2020, le confinement, une période “bizarre”. Est-ce qu’elle vous a inspirée ? Donné des idées?
Camille: Ça n’a pas été une bonne période pour moi, mais c’est parfois après ce genre de moment ou d’état émotionnel qu’il peut y avoir des déclics par la suite. J’ai encore plus envie de développer des projets avec une certaine profondeur et d’ajouter encore plus de sens dans mon travail. Les images sont des outils de communication forts et j’aimerais les utiliser plus encore pour soutenir certaines idées avec toujours plus d’émotion et de sensibilité.
PM: Camille un très grand merci pour le temps que vous nous avez accordé.
—
Suite à ce très sympathique entretien, on a voulu rencontrer l’éditeur qui fait tant confiance à Camille puisqu’elle illustre quasi chacun de ces jeux. J’ai eu la chance de rencontrer David Pérez de The Flying Games. Une personne passionnée, passionnante avec qui je pourrais discuter pendant des heures. Je vous laisse juger par vous même!
PM: David, bonjour, merci de prendre le temps de répondre à nos questions. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez commencé à travailler avec Camille ?
David Pérez: C’est Bruno (Cathala) qui m’a parlé de Camille. Quand on s’est mis en quête d’un illustrateur pour Jurassic Snack, il m’a dit de jeter un oeil sur son travail. Il avait eu l’occasion de collaborer avec elle sur Tong et pensait, à raison, que le style de Camille irait parfaitement avec ce qu’on voulait faire de nos dinos. Je suis donc allé scruter son portfolio sur internet et j’ai immédiatement reconnu les petits escargots qu’elle avait fait pour le jeu Flip Hop (chez Azao Games). J’avais donc été déjà séduit par sa patte mais sans savoir que c’était elle ! Bon, je vais vous avouer quelque chose. J’ai su assez vite que Camille et moi allions faire un bon bout de chemin ensemble. Quand elle m’a envoyé ses premiers croquis de Diplodocus, je me suis totalement reconnu dans son style. Je me suis dit que c’est ce que je voulais pour The Flying Games.
PM: A partir d’un proto, comment imaginez vous l’univers graphique qui va avec?
David: L’univers graphique, c’est quelque chose qui se construit progressivement dans mon esprit. Plus je joue au proto et plus j’essaie de me projeter dans le jeu final. Je me demande ce que j’aimerais voir à partir de telle ou telle mécanique. A ce stade, je n’ai souvent pas d’images précises en tête mais seulement des sensations. Et puis assez tôt, j’en parle à Camille. Nous sommes assez complices et je n’hésite pas à lui demander son avis très tôt, parfois même avant la signature du jeu. A ce moment-là, j’essaye de lui exprimer le plus clairement possible ce que j’imagine. C’est aussi à ce moment que j’évoque avec elle les références qui me viennent. Pour GrandBois par exemple, j’aimais bien l’idée d’un univers proche du Robin des Bois de Disney mais en plus badass. Pour les animaux de Prehistories (à paraître en fin d’année), on a pensé à l’Age de Glace, une référence que l’on partage tous les deux.
PM: Quelles directives donnez vous à l’illustratrice?
David: En tant qu’éditeur, je considère que mon rôle est plus de fédérer les différents talents qui m’entourent plutôt que de donner des directives. Pour le travail d’illustration, nous organisons assez rapidement une réunion à trois avec Camille et Igor Polouchine, qui assure la Direction artistique de l’ensemble des projets The Flying Games. J’exprime alors avec mes mots (de non-spécialiste), ce que je souhaiterais pour le jeu, l’ambiance générale que j’imagine. Igor va alors devoir faire un travail d’équilibriste en traduisant mes propos à Camille avec des termes plus techniques. Comme le billard, l’édition d’un jeu se joue à plusieurs bandes. Et je vous assure que ce n’est pas toujours facile de comprendre ce que j’ai dans la tête ! Comment traduire en image des phrases telles que « ce bec ne fait pas assez toucan » ou « il a l’air trop renfrogné » ou « j’aimerais une ambiance plus feutrée »… ? Je préfère être à ma place qu’à la leur !
PM: Et l’auteur dans tout ça, quelle part lui laissez-vous ?
David: Editer un jeu, c’est une aventure que je ne conçois pas vivre seul. J’ai envie d’embarquer toute l’équipe sur ce long chemin qui mène à la sortie d’une création. J’essaie donc d’impliquer l’auteur en lui soumettant les croquis en cours de validation. J’essaie de faire en sorte que l’auteur se reconnaisse un maximum dans la version finale. C’est son oeuvre et l’affect qu’il a mis dans le développement du jeu doit pouvoir se ressentir à travers le jeu fini. Vous pourriez me dire que pour un jeu de dinos ou d’ours polaires, cette projection de l’auteur sur la boite finale revêt une importance moindre mais ce n’est pas trop mon ressenti. Quel que soit le jeu, je pense que l’auteur y met une part de lui-même. Pour revenir sur des exemples concrets, le thème de la disparition est cher à Bruno. Cela se ressent de manière plus ou moins visible dans ses jeux (Fives Tribes en est une bonne illustration puisque l’on fait disparaître des meeples tout au long de la partie). Ce n’est pas un hasard si les deux premiers jeux que nous avons faits ensemble ont eu pour thème les dinosaures (qui ont disparu) et les ours polaires qui sont en grand danger d’extinction. En me relisant, je me demande si je n’ai pas fait une énorme digression mais en fait pas tant que ça. Chaque nouveau jeu est l’occasion d’explorer un peu plus l’univers d’un auteur et tenir compte de leur sensibilité me paraît tenir du bon sens.
PM: David, un grand merci.
(et on se fait plaisir en terminant avec une illustration que Camille a réalisé rien que pour nous : un chouette cadeau pour nos 3 ans d’existence !!)