Test – La Princesse aux Échelles

Il semble acquis que Christophe Lauras entretient une passion fulgurante pour les princesses. Après Boss Quest (que nous avions adoré), vlatipa qu’une autre princesse est en danger, elle aussi enfermée tout en haut d’un sordide donjon. D’ailleurs, il y a en fait PLEIN de princesses enfermées dans PLEIN de donjons, signe que la vie de princesse n’est quand même pas forcément glamour, et en tout cas moins lucrative que celle de bâtisseur de Donjon. Fort heureusement, d’héroïques héros vont se précipiter à la rescousse. Leurs armes ? Des échelles ! Parce que pour grimper tout en haut du donjon, il est pratique d’avoir des échelles, c’est vrai. Mais encore faut-il qu’elles soient de la bonne longueur. Trop courtes, on ne peut sauver la princesse. Trop longue, l’échelle dépasse la fenêtre (et on notera que le héros, pas forcément super malin, n’a pas compris qu’on pouvait s’arrêter à mi-chemin de l’échelle). Bref : il faut viser juste, et surtout tous ensemble. Parce que oui, trois fois oui, La Princesse aux échelles est un jeu coopératif. Il faut donc s’entraider pour sauver le maximum de princesses… qui ont toutes leur petit caractère. Tout le monde a compris ? Alors, hop, allons-y !

Comme une histoire de jumeau maléfique…

Je vais d’emblée me permettre un aparté dont j’ai le secret. En effet, les plus fidèles lecteurs auront peut-être découvert, il y a de cela quelques mois, un prodigieux test d’un jeu dénommé Boss Quest. Eh bien figurez-vous que la Princesse aux Échelles et Boss Quest ont pas mal d’éléments en commun. Le même auteur, déjà. Le même thème, ensuite. Une mécanique assez proche, aussi. Un humour second degré parfaitement réjouissant, toujours. Pas mal de choses, donc. On pourrait presque dire, avec un sourire en coin, que l’un est le jumeau maléfique de l’autre. Sauf que les jeux ne sont pas jumeaux. Et qu’aucun n’est maléfique. Donc ma comparaison est pourrie. Mais vous allez voir, tout au long de ce test, des ressemblances amusantes entre La Princesse aux Échelles avec Boss Quest. Savoir jouer à l’un, c’est déjà connaître un peu l’autre. Et c’est donc la promesse de grands moments.

Des princesses. Des échelles.

La Princesse aux échelles est un jeu coopératif dans lequel les joueurs doivent tous apporter leur pierre à un but commun, sans toujours savoir où ils vont.

Pour comprendre l’esprit de ce jeu, souvenez-vous de cette mythique scène de Friends dans laquelle Ross donne des indications désespérées pour manipuler un canapé dans un escalier étroit. Si vous avez cette image bien en tête, vous savez déjà intuitivement jouer à La Princesse aux Échelles.

Il s’agit d’un jeu de cartes coopératif, donc, basé sur la déduction et l’interprétation plus ou moins correcte que vous ferez des indications de vos équipiers. Et si je dis « plus ou moins », ce n’est pas par hasard. Mais j’anticipe !

Koikiya dans le donjon ?

Le jeu est composé de plusieurs decks de cartes : le premier contient des échelles. Le second, je vous le donne Émile, des Princesses. Et il y a aussi des pages du livre d’histoires, des cartes du donjon, et des cartes écuyer. Et vous savez quoi ? L’ensemble est tout simplement magnifique. Le parti pris graphique fonctionne à merveille et les pinceaux de Radja donnent au jeu une légèreté poétique qui n’est jamais trahie par sa mécanique. Une jolie fusion, qui plonge immédiatement dans la partie dès la première carte posée sur la table. C’est vraiment chouette. Ajoutez à cela une belle flopée d’humour avec des textes amusants et décalés, et vous comprendrez que vous embarquez pour une aventure plutôt réjouissante. Chouette !

La règle est plutôt claire, et c’est heureux, car le jeu est assez subtil et surtout assez différent à chaque manche. Je vais vous débroussailler le terrain pour que vous soyez à l’aise.  

Princesses en goguette

Pour lancer la partie, chaque joueur choisit la couleur de son paquet de cartes échelles. Tous les paquets sont identiques et contiennent 8 échelles, numérotées de 1 à 8.

On réunit ensuite les donjons disponibles en fonction du nombre de joueurs, et l’on place le paquet ainsi formé au centre de l’aire de jeu.

La préparation de la partie se poursuit avec la création du livre d’Histoires. Ce dernier est composé de deux pages fixes et de 7 pages aléatoires. Le but du livre d’Histoire, c’est évidemment de vous pourrir la vie de raconter de jolies histoires autour de vos sauvetages. Chaque nouvelle manche dévoile une nouvelle page, et il vous faudra sauver les quatre princesses avant d’arriver à la fin de l’Histoire, sans quoi la défaite sera irrémédiable. Bref ce livre d’histoires est le timer fatidique qu’il faut réussir à déjouer : vous aurez 7 rounds pour sauver 4 princesses.

Et puisqu’on parle d’elles, vous pourrez – au choix – choisir ou piocher vos quatre princesses à sauver. Le jeu sera plus ou moins difficile en fonction de votre choix, donc suivez les conseils de la règle pour la mise en place de départ. On ne se risquera sans doute pas à dire que ce sont des « filles faciles », mais au moins elles se laissent sauver sans trop de difficulté (ce qui sera loin d’être le cas de certaines de leurs collègues).

Les trois dernières cartes, les écuyers, sont des jokers bien pratiques pour corriger le tir en cas d’échec. À vous de savoir les utiliser… mais surtout de vous en passer, car ils ne sont pas tolérés dans le jeu avancé.

Une fois cette mise en place laborieuse à décrire, mais très rapide dans les faits, on peut se lancer.

Bon, on sauve des Princesses ou bien ?

Vous avez raison. Je parle, je parle, et les princesses sont toujours dans leur cachot.

La partie est lancée en dévoilant la prochaine carte du deck « livre d’histoires », qui pose une première contrainte de jeu. Par exemple : la princesse devra être sauvée en jouant une échelle de valeur précise pendant le pli. Ou la manche devra être jouée à voix basse. Ou sans bouger les mains.

Une fois cette carte révélée, on dévoile ensuite la princesse à sauver. Elle-même va dicter ses propres contraintes, notamment en indiquant qui peut voir les cartes jouées. En effet, dans certains cas l’un des joueurs aura accès à des informations que les autres n’ont pas, et selon les cas les cartes seront jouées face cachée ou visible. Comme on le disait d’emblée plus haut, les manches seront très différentes les unes des autres, même si leur finalité est la même : atteindre très exactement la valeur du donjon avec la somme de toutes les cartes échelles jouées pendant le tour.

Pour résumer, nous avons donc une série de variables : la hauteur du donjon à atteindre, la contrainte du livre d’Histoire, et les exigences de la Princesse. Parce que oui, les Histoires sont épiques et les Princesses exigeantes. C’est comme ça.  

Enfin on désigne le « Prince » de la manche, c’est-à-dire le Premier Joueur, qui va donner le ton à l’ensemble du round.

« Plusss ou moinsss » ?

Le but du Prince consiste à s’assurer que le groupe de joueurs atteigne très exactement la valeur du donjon au moyen des cartes échelles. Mais la partie sera forcément tendue, car chaque joueur ne pourra jouer qu’une unique carte.  

Le Prince consulte donc secrètement la carte donjon qui lui donne la valeur cible, puis joue ensuite une première carte, appelée carte de référence. Il doit ensuite guider ses équipiers qui vont tous jouer une carte chacun leur tour. Mais pour les mettre sur la voie, il n’a le droit d’utiliser que deux mots : « plussss » ou « moinsss ». Il a, en revanche, toute latitude sur l’emphase à donner à ses deux mots, gestes à l’appui.

Prenons l’exemple d’une partie à 4 joueurs et d’un donjon d’une valeur de 17 (et seul le Prince connait cette valeur à atteindre). Le Prince, prudent, joue une carte 5. Il demande ensuite une carte au joueur suivant, en lui indiquant si sa valeur doit être « plussss » ou « moinssss » élevée que 5. Admettons qu’il obtienne un 6. Le voilà à 11, avec deux autres joueurs qui doivent donner leurs cartes à l’aveugle. Pour rester dans les clous, il indique « moinsss » en insistant bien sur le mot, toujours avec le 5 en référence. Il obtient un 2, ce qui le porte à 13. Comment va-t-il se débrouiller pour obtenir le 4 qui lui manque?

Si le total des cartes posées par les joueurs correspond exactement à la valeur du donjon, la Princesse est sauvée. Enfin presque, car il faut tout de même vérifier que les contraintes du Livre Histoire ont bien été respectées. Si ce n’est pas le cas, le Dragon bougon emmène la Princesse vers le donjon suivant. Il faudra tenter de la sauver à nouveau… si le livre d’Histoires n’est pas épuisé entre temps ! Vous l’aurez compris, chaque échec vous met en position de plus en plus inconfortable pour finir la partie.

Pourquoi ? Parce qu’on a volontairement omis de vous préciser le détail qui tue. Chaque carte jouée… n’est PAS récupérée. Vos options se réduisent donc de round en round et il faudra vraiment réfléchir aux cartes jouées pour ne pas se tirer une balle dans le pied pour les manches suivantes. Si vous parvenez à délivrer les princesses rapidement, tout va bien, mais si vous foirez votre coup, vous aurez d’autant moins d’options pour aller chercher les dernières. Cercle vicieux particulièrement marrant.

À noter quand même que les écuyers vous permettront de modifier ici ou là la valeur finale de vos échelles pour tenter de transformer une approximation en victoire éclatante. Mais ils ne seront jouables qu’une fois pour toute la partie, bien évidemment.

Des sensations de jeu vraiment intenses

Princesse aux échelles est un jeu où l’on transpire beaucoup et où, un peu comme dans The Mind ou The Crew, on hurle au génie collectif une fois que l’objectif est atteint. C’est intense, profond, et libérateur. Parce que tout tient dans l’évaluation et l’interprétation. Le Prince va naturellement diviser la somme à atteindre par le nombre de joueurs, mais aussi regarder ce qui reste en main à chaque joueur avant de jouer sa première carte. Ensuite il va se livrer à une sorte de damage control permanent, en essayant de faire passer le message des chiffres qu’il attend. ET si les choses devraient bien se passer avec les Princesses les plus faciles, d’autres plus tard vont bien vous pourrir la vie en imposant de jouer une carte précise dans la série. Sur des donjons encore plus tordus, tout le monde connait la valeur cible à atteindre, mais seul le prince sait quelles cartes sont jouées. Les situations de jeu sont plutôt variées, et c’est toujours électrisant de s’accorder tous ensemble sans vraiment le savoir pour trouver la juste valeur.

Et avec les marmots, alors ?

La Princesse aux échelles est un 10+  qui mérite bien son âge, car il n’est pas forcément très accessible avant du fait de ses nombreuses variables en cours de partie. On dirait même qu’il est à réserver aux enfants « joueurs », car la pression est parfois assez forte, surtout quand on se retrouve dans la peau du chargé de coordination. Il faut savoir diviser, évaluer les cartes disponibles de chaque joueur (les défaussées sont placées face visible), et savoir donner la bonne intonation « plussss » ou « moinssss » (avé lassent) pour obtenir la carte espérée. Beaucoup d’éléments en jeu réservent La Princesse aux Échelles aux marmots les plus à l’aise en estimation, calcul mental et expression orale, c’est-à-dire 12 ans. Avant, cela risque parfois d’être compliqué.

Pour jouer avec des enfants et leur faire découvrir les joies de l’estimation, il faudra faire sauter la quasi-totalité des contraintes et surtout maintenir des règles fixes tout au long du jeu. Cela fera un bon exercice de maths, mais ça enlèvera un peu du sel des règles qui se renouvellent au fil des cartes. On est en train de rédiger une petite variante sympatoche, qu’on n’a pas vraiment eu le temps de tester de par le confinement.

 

L’avis de Plateau Marmots

La Princesse aux Échelles est donc un jeu palpitant et plein d’humour qui invite les joueurs à communier pour trouver une valeur cible, avec de moins en moins de ressources au fil des tours pour le faire. Si les victoires sont rares au cours des premières parties, on prend rapidement le pli (haha) et on comprend de plus en plus intuitivement quelles sont les attentes du Prince en fonction de son intonation et de sa gestuelle. Servi par des graphismes particulièrement soignés et une mécanique de jeu très variée qui se réinvente de round en round, La Princesse aux Échelles trouve tout à fait sa place parmi les jeux de cartes coopératifs à communication limitée, façon The Mind ou The Crew. Mais à l’instar de ces titres légendaires, il s’adresse très clairement aux « grands marmots » 11-12 ans, capable d’estimer et de percevoir les nuances dans un timbre de voix et dans une gestuelle, de même que de diviser rapidement une somme à atteindre par le nombre de joueurs présents. On le réservera donc aux plus grands, pour des parties ensoleillées pleines de « plusse » et de « moinsss » sur une ambiance « huile d’olives et cigales » particulièrement chaleureuse.   

On aime

  • C’est joli
  • De la coop’, vraiment intense
  • Plein d’humour
  • Une marge de progression vraiment géniale

On aime moins

  • Pas trop pour les marmots
  • Nécessite d’être quatre ou cinq pour révéler son potentiel

Fiche technique

Un jeu de Christophe Lauras
Illustré par Radja
Edité par Sables
Pour 3 à 6 joueurs
A partir de 10 ans

 

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