Loin des sleeves : le vent chaud de l’été

Et tout pourrait commencer ainsi, par une vieille table de jardin, transmise de génération en génération et vaguement repeinte tous les, quoi, quatre ou cinq ans ? Une table un peu rouillée, évidemment, et un peu branlante aussi, si on oublie la cale qui va bien. Une table avec son parasol fatigué par les incessantes attaques du soleil du sud.

Et. Autour de cette table.

Il y aurait.

Des rires.

Ce seraient les dernières heures d’un après-midi de canicule, lorsque les cigales se taisent, que la brise se lève et que les bières se décapsulent.

On exhumerait des trésors de la maison familiale, un Scrabble scotché, un Richesses du Monde incomplet, ou un vieux King of Tokyo de la première édition. On ouvrirait la boîte, sans précipitation ni a priori. Les enfants qui gravitent autour de la table voudraient jouer, réclameraient un Orangina ou un Coca et l’obtiendraient “pour une fois”. La douceur de vivre serait si présente, si palpable, qu’on ne penserait à rien d’autre qu’au plaisir et qu’à l’envie de le partager.

On ouvrirait le jeu, on le mettrait en place. Des cartes non sleevées, aucune extension dans la boîte. Juste le plaisir d’aller au plus simple, de toucher les choses, de lancer les dés, de relire les règles sur un bout de papier. On lancerait les dés, on se tromperait, on recommencerait, et tout cela n’aurait finalement aucune importance. Les enfants hasarderaient leurs premières stratégies, les vétérans tenteraient de raviver leurs souvenirs de vieilles parties.

On jouerait.

On jouerait, enfin !

On jouerait sans penser à relever les points positifs et négatifs, sans prendre de photo « au format carré pour insta », sans se demander ce qu’on en a pensé, sans aller checker le score BGG ou une éventuelle adaptation BGA, sans imaginer ce que devrait être une extension… Non non non, rien de tout cela. 

On jouerait…

…pour le seul plaisir de jouer.

On jouerait sans apprendre avec Yahndrev, sans savoir ce qu’en pensent Guillaume et Pénélope, sans savoir si Kaelawenn va battre Alecs.

On jouerait pour jouer, libéré de toute pression et de tout enjeu, alors que le ciel glisserait doucement du bleu azur vers l’orange soutenu, et que les goélands de passage commenteraient le résultat d’un lancer de dés d’un cri moqueur.

Ceux qui reviendraient de la plage, rougis de soleil, s’attarderaient autour de la table, voudraient jouer à leur tour. On ferait de la place, on ouvrirait d’autres bières et d’autres cocas. Quelqu’un, dans le jardin, serait en train de commander des pizzas. Des voisins passeraient devant la maison et franchiraient le portail, intrigués par les rires. Assurément, on prendrait des pizzas supplémentaires.

Les monstres ravageraient Tokyo, se bafferaient, se soigneraient, et la vieille table rouillée et repeinte serait inondée de rires et d’émotions. Les regards se croiseraient, à la fois complices et chaleureux. Des amitiés nouvelles se forgeraient, entre un triple 3, une gorgée de Picpoul et deux Cœurs. Peut-être que Sylvain oserait enfin aborder Manon ? Peut être que Christiane se risquerait à rejouer avec Roger, en dépit des silences et des douleurs et des années.

Et tout se tiendrait ici, dans une soirée estivale avec une vieille table, un vieux jeu, des lancers de dés et des sourires. Et peut-être, seulement peut-être, que les regards en coins vaudraient mille posts Insta et que les rires des enfants vaudraient bien plus que les 5 étoiles de Philibert.

Parce que l’on jouerait, tout simplement.

On jouerait et peut-être que l’on réaliserait soudain que ce qui se passe autour de la table a davantage d’importance que le plateau de jeu. Les regards, les gestes, les grimaces… autant de signes de vie qui terrassent les deckbuildings les mieux affûtés et les poses d’ouvriers les plus en vue.

Et qu’au final, loin des internets, des liens trackés et les « reviews à sortir demain parce que le jeu sort dans trois jours », on réaliserait soudain que l’important est là, dans des cartes un peu fatiguées qui sentent le sable et la bière, dans un plateau de jeu un peu gondolé, dans le partage d’émotions vives et fortes à chaque roulement de dé, dans la douce chaleur d’une soirée d’été.

Retrouver le jeu pour ce qu’il est.

La joie d’être ensemble.

Le sourire de Manon.

Bel été à tous.


One thought on “Loin des sleeves : le vent chaud de l’été

  • 29 juillet 2022 à 23 h 05 min
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    Woaw… merci pour ce moment d’émotion partagé, ça donne envie de s’installer tranquillement avec vous et de rire un coup. Bel été à vous !

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