5 questions à… Julk

Sur Plateau Marmots, on parle beaucoup de jeux, de mécaniques, d’accessibilité, de rejouabilité, de thématisation, de points forts ou de points faibles… Si bien qu’on oublie parfois que derrière chaque jeu, se cache un petit cœur qui bat (#coeuraveclesdoigts). Ce cœur, c’est celui d’un auteur qui a placé en lui ses espoirs et ses obsessions, sa poésie ludique et ses maniaqueries mathématiques…

Voilà pourquoi, on a décidé tout au long des semaines qui viennent de poser 5 questions à… une série d’auteur.e.s dont on aime les jeux, histoire de comprendre ce qui les pousse à créer. Mais aussi pour qu’ils nous racontent le périple de leurs créations avant qu’elles ne rejoignent les rayons des boutiques. Et pourquoi pas pour en apprendre plus sur leurs projets à venir.

C’est Julk, un tout “jeune” auteur qui a publié son premier jeu cette année, qui inaugure la série.

“Affamés”, nous l’avons découvert au dernier Festival de Cannes. Ce fut d’ailleurs l’un de nos gros coups de cœur. Les parties et les mois n’ayant pas érodé notre coup de cœur initial, c’est avec plaisir et curiosité qu’on a interviewé Julk pour en savoir plus sur la conception de ce jeu ainsi que sur la personne qui se cache derrière ce mystérieux pseudonyme.

Plateau Marmots: Comment en vient-on à créer des jeux de société ? Et surtout, pourquoi l’idée saugrenue d’en créer pour le public le plus exigeant et le plus agité du monde ludique : les Marmots ?

Julk: J’adorais jouer pendant mon enfance et mon adolescence, et j’étais déjà très créatif. De mémoire, mon premier jeu de cartes était un jeu de bataille avec des bateaux et des sous-marins, que j’ai dû créer à l’âge de 7 ou 8 ans, et auquel je jouais surtout en solo. Mais j’ai mis tout cela en sourdine pour me consacrer à mes études, puis à ma vie professionnelle et familiale. Je n’ai jamais cessé de jouer et de faire jouer autour de moi, mais j’ai passé une bonne vingtaine d’années sans créer de jeu, par manque de temps. Il y a 4-5 ans, j’ai fait une sorte de “coming out” ludique, avec conception de protos et concours de création à la clé. C’était parti : j’ai créé une demi-douzaine de jeux en quelques mois. La création de jeux, on peut dire que c’est ma crise de la quarantaine à moi…

Session de travail avec Q. Caprara sur “Jardin Bio”

Maintenant, pourquoi des jeux pour enfants ? Tout simplement parce que j’ai des enfants ! Les jeux que je trouvais dans le commerce ne me satisfaisaient pas toujours pleinement en tant que partenaire de jeu. J’avais parfois l’impression de devoir me “sacrifier” pour jouer avec eux, et j’étais frustré de ne pas pouvoir les initier à certaines mécaniques. Partager un moment de jeu et de complicité avec mes enfants a toujours été un plaisir, mais il y a des fois où je me disais intérieurement : “Purée, le matos est sympa, le thème aussi, mais qu’est-ce que c’est répétitif !”.

La création de jeux, on peut dire que c’est ma crise de la quarantaine à moi…

Le prototype d’ “Affamés” en cours de fabrication

Quelle est pour toi la définition d’un bon jeu de société pour Marmots ? Et puisqu’on est dans la confidence, quel jeu Enfant te fait te réveiller la nuit, en sueur, en te maudissant de ne pas en avoir eu l’idée ?

Un bon jeu de société pour Marmots doit réunir plusieurs critères, selon moi. Tout d’abord, l’enfant doit avoir envie d’y jouer et d’y rejouer. Cela me semble primordial ! C’est d’ailleurs un peu mystérieux et assez difficile de comprendre pourquoi un jeu leur plait plus qu’un autre…

Ensuite, le jeu doit être assez simple pour qu’après un temps de familiarisation, l’enfant puisse le mettre en place tout seul et y faire jouer ses copains-copines du même âge de façon autonome. Enfin, idéalement, si le parent qui joue avec son enfant peut lui aussi y trouver du plaisir ludique, alors c’est le Graal !

Pour moi, Monza de Jürgen P. Grunau, chez Haba, coche toutes ces cases. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il me fait me réveiller la nuit, mais c’est clairement un jeu dont j’aurai aimé avoir eu l’idée !

LA référence des Jeux pour Marmots selon Julk

« Affamés », ton premier jeu, utilise des mécaniques que l’on retrouve habituellement dans des jeux pour adultes : la Pose d’ouvriers et le Tower Defense. Était-ce ton objectif de rendre ces mécaniques accessibles aux plus jeunes ? Ou sont-elles venues se greffer naturellement à l’idée initiale ?

L’idée initiale d’Affamés partait du célébrissime Verger d’Haba, que mes enfants adoraient, attirés, je pense, par un thème accrocheur et un matériel d’une qualité à couper le souffle (comme la plupart des jeux Haba d’ailleurs). Mais je le trouvais, moi, assez pauvre d’un point de vue tactique, et vraiment lassant en tant que partenaire de jeu.

Dans un certain sens, on peut donc dire qu’Affamés est ce que j’ai obtenu en mélangeant Le Verger et Deep Space D6 !

Je me suis donc demandé comment je pouvais exploiter le thème fermier, que je trouvais hyper cool et parlant pour les enfants, en y ajoutant un petit soupçon de tactique. Je voulais aussi étoffer un peu la partie pédagogique sur la vie de la ferme. Le Verger ne parle que du verger et j’avais envie d’ajouter le potager, la ruche, le poulailler, etc.

“Deep Space D6” et “Le Verger”: les 2 influences principales d’ “Affamés”

Je jouais pas mal en solo à Deep Space D6, à ce moment-là (un super jeu de Tony Go, disponible en print’n’play et à découvrir d’urgence pour les amateurs de jeu solo !). J’aimais bien la mécanique de pile de cartes « menaces » arrivant petit à petit, et dont les points de vie étaient représentés par des pistes situées sur les côtés du vaisseau. Je baigne aussi pas mal dans le monde de la production industrielle, de l’ordonnancement, de l’optimisation (je suis enseignant-chercheur de métier), et j’ai donc ajouté des ingrédients venant de cette sphère-là.

Si le volet Tower Defense d’Affamés vient clairement de Deep Space D6, la pose d’ouvrier m’a semblé naturelle dans l’univers de la ferme. C’est une mécanique qui a tout de suite très bien fonctionné avec les plus jeunes : si je veux récolter des œufs, il faut aller au poulailler, ça leur a paru logique.

Dans un certain sens, on peut donc dire qu’Affamés est ce que j’ai obtenu en mélangeant Le Verger et Deep Space D6 !

J’ai d’ailleurs cru comprendre que le thème initial d’« Affamés » était bien loin de celui qu’il a aujourd’hui. Peux-tu nous raconter le périple créatif et éditorial de ce jeu ?

Je ne dirais pas que le thème d’Affamés est loin de celui d’origine ! En fait, j’avais présenté une première version à Auzou au Festival des Jeux de Cannes en 2020, juste avant le Covid. À l’époque, c’était un jeu vraiment plus complexe : il y avait un verger, une ruche, un champ de blé… Il fallait récolter du blé, puis aller au moulin pour faire de la farine. Et ensuite, cuire le pain en allant au four. Certaines créatures voulaient un sandwich, une pizza, un gâteau… Pour l’anecdote, le jeu incluait un petit livret de recettes.

La 1ère version d’ “Affamés”

Certaines créatures avaient aussi des effets qui venaient complexifier le jeu. C’était vraiment fun, mais bien trop compliqué pour des enfants, et super dur à équilibrer. À l’époque, j’étais en plein « coming out » ludique comme je le disais tout à l’heure, et je m’étais vraiment lâché sur ce jeu. J’y avais mis toutes mes idées sans trop faire le tri ni hiérarchiser ! Pour couronner le tout, la tranche d’âge annoncée ne collait pas du tout à la réalité du jeu. Bref, mon concept était très sympa, mais le jeu n’était pas du tout éditable en l’état. Auzou m’a dit non, et les autres éditeurs aussi.

Je suis alors arrivé à ce que j’estimais être un “vrai” jeu pour 4 ans et plus. Bien sûr, je m’étais encore largement planté sur l’âge…

La 2ème version d’ “Affamés”

Les commentaires d’Auzou ont fait leur chemin dans ma tête, et je me suis lancé comme défi d’épurer le concept et d’en faire un vrai jeu enfant. Le covid est arrivé, et j’ai passé une partie des périodes de confinement à le simplifier, à l’équilibrer, à faire des simulations sur ordinateur. Je suis alors arrivé à ce que j’estimais être un “vrai” jeu pour 4 ans et plus. Bien sûr, je m’étais encore largement planté sur l’âge… Mais le jeu était effectivement plus simple, plus lisible, et plus approprié pour des enfants. J’avais conçu cette deuxième version d’Affamés avant tout comme un exercice de créativité pour m’améliorer en tant qu’auteur de jeu, et sans penser qu’il puisse être édité un jour. Mais j’ai reçu un jour un mail de Déborah (l’éditrice d’Auzou que j’avais rencontrée à Cannes) qui voulait revoir Affamés. On s’est rapidement contacté en visio et elle a aimé ce que je lui ai montré. En bon prof de base, j’avais même fait une animation Powerpoint pour présenter le jeu.

La version actuelle est très proche de cette version retravaillée “pour 4 ans et plus”, la différence principale résidant dans le thème. J’avais, en effet, imaginé des créatures de la forêt “classiques” et des dinosaures, ainsi que des denrées alimentaires standard (salade, fraises, miel, etc.), qui permettaient d’avoir une dimension éducative. Bien sûr, il y avait un léger délire dans la mesure où je faisais se côtoyer des dinosaures et des grizzlis, mais sinon c’était plutôt réaliste. Auzou a proposé de basculer sur un thème “monstres qui font un peu peur et fruits pourris”, et on est partis là-dessus. J’étais un peu dubitatif au début, mais quand j’ai reçu les illustrations d’Apolline Etienne, j’ai été soufflé. Elle a fait un travail exceptionnel sur le jeu ! Ses créatures sont ultra mignonnes, elles font un peu peur mais pas trop. J’ai vite compris que l’éditeur avait eu une super idée et que les enfants allaient adorer.

J’ai vu que tu faisais tourner de nouveaux prototypes lors de festivals. As-tu de nouveaux jeux Marmots dans tes valises ?

Maintenant que le Covid est derrière nous, les festivals ont repris et je recommence à faire des concours et à discuter avec des éditeurs. En particulier pour des jeux Marmots. Horticolor a été présenté à Alchimie du Jeu en mai dernier, et il est en cours de négociation avec un éditeur. C’est un jeu de cartes et de dés sur le thème du jardin et des petites bêtes à partir de 8 ans. J’espère pouvoir officialiser la chose prochainement, mais pour l’instant, chut, je n’en dis pas plus !

Prototype d’Horticolor

J’ai aussi d’autres protos en stock, notamment un projet de jeu coopératif pour les enfants à partir de 5 ans, en collaboration avec Quentin Caprara. Le projet n’est pas encore finalisé mais on a une mécanique de bag-building sur le thème du potager bio avec un canard qui fait caca, et on trouve que c’est déjà un super point de départ ! D’ailleurs, je mets des canards dans tous mes jeux: c’est mon animal-totem. Si un jour je conçois un jeu sur le thème de l’Espace, il y aura des canards dedans, promis.

Je mets des canards dans tous mes jeux…

“Super Bataille” et “Jardin Bio”: 2 jeux en cours de création

Merci beaucoup, Julk, pour avoir inauguré notre série des “5 questions à…”. Après cette petite interview, on a une mauvaise nouvelle pour toi, et un regret pour nous. Je commence par la mauvaise nouvelle: il existe déjà un jeu dans l’espace avec des canards. Ça s’appelle “Duck Dealer”, un eurogame indigeste de chez Splotter Spielen. Mais vu le souvenir mitigé que j’en garde, je me dis qu’il te reste un boulevard galactique sur ce créneau.

Notre regret: ne pas avoir eu droit à une sixième question pour te demander “Pourquoi ce surnom Julk ?”. Le mystère reste donc complet…


Dans le prochain épisode…

Dans 2 semaines, on pose 5 questions à… un auteur qui aime réveiller les dragons, jouer les ninjas lorsque tombe la nuit, et mettre des grenouilles dans sa soupe.

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